La junte qui a renversé le président Alpha Condé le 5 septembre 2021 a proclamé le 13 mai l'interdiction "jusqu'aux périodes de campagne électorale" de toute manifestation sur la voie publique "de nature à compromettre la quiétude sociale et l'exécution correcte des activités" pendant les trois ans censés précéder un retour des civils au pouvoir.
Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme a exhorté lundi les militaires guinéens à rétablir le droit de manifester.
Les autorités ont opposé une fin de non-recevoir à cette demande, dans un communiqué lu mardi soir sur la télévision d'Etat.
Elles ont réitéré qu'"aucune marche ne sera autorisée aussi longtemps que les garanties d'encadrement ne seront pas réunies".
A écouter Manifestations interdites en Guinée: "le CNRD craint de nouveaux massacres"La junte a fait valoir que le pays a connu sous la présidence Condé un très grand nombre de manifestations qui ont fait selon elle des centaines de morts. Depuis son accession au pouvoir, elle dit avoir mis en place des organes permettant le dialogue. "Les contradictions et les incompréhensions peuvent être débattues en toute sérénité" au sein de ces organes, assure-t-elle.
"En conséquence, rien ne saurait justifier les marches en cette période sensible de la vie nationale où les Guinéens ont (recommencé) à se parler en frères", affirme le communiqué.
Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), collectif qui a orchestré des mois de mobilisation en 2019-2020 contre un troisième mandat de l'ancien président Condé, a dénoncé dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux l'"attitude dictatoriale" de la junte. Il a exprimé "son refus catégorique de se soumettre à cette interdiction illégale et inopportune".
Sommet à risques
Le FNDC appelle les Guinéens "à la mobilisation pour la reprise imminente des manifestations citoyennes et pacifiques (...) pour empêcher la confiscation du pouvoir (par la junte) et exiger un retour rapide à l'ordre constitutionnel".
Les partis politiques et la société civile font de plus en plus entendre leur voix contre la répression des libertés et l'instrumentalisation de la justice par les autorités sous la conduite du président dit de transition, le colonel Mamady Doumbouya.
Les autorités ont ouvert une série d'enquêtes contre des personnalités de l'ancien régime et même de l'opposition à l'ancien président Condé.
Une cour spéciale anti-corruption a décidé mardi de maintenir en détention trois anciens ministres du président déchu, a-t-on appris auprès de leurs avocats.
Lire aussi : Rejet de la demande de remise en liberté de deux ex-ministres guinéensIbrahima Kassory Fofana, Premier ministre de mai 2018 jusqu'au coup d'Etat de 2021, Mohamed Diané, ancien tout-puissant ministre de la Défense de 2015 jusqu'au putsch, et l'ex-ministre de l'Environnement Oyé Guilavogui ont été inculpés et écroués en avril pour détournement présumé de fonds publics sans qu'aucune information ne soit rendue publique sur les faits précis qui leur sont reprochés.
La situation en Guinée devrait figurer parmi les grands sujets d'un sommet de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) samedi à Accra. Lors d'un précédent sommet le 25 mars, les dirigeants ouest-africains avaient donné à la junte jusqu'au 25 avril pour présenter un calendrier "acceptable" de restitution du pouvoir aux civils.
Depuis, la junte a fixé le délai à 36 mois, une durée difficilement acceptable pour la Cédéao.
Celle-ci avait prévenu le 25 mars qu'à défaut de calendrier "acceptable" au 25 avril, "des sanctions économiques et financières [entreraient] immédiatement en vigueur". Le Mali voisin, théâtre de deux putschs depuis 2020, est sous le coup de telles sanctions depuis janvier.