Levée de boucliers en Guinée après l'interdiction de plusieurs radios et une TV

Il s'agit du dernier tour de vis imposé aux médias par la junte arrivée au pouvoir par la force en 2021 et dirigée par le général Mamadi Doumbouya.

L'interdiction par les militaires au pouvoir en Guinée de quatre radios et une télévision privées très suivies a provoqué une levée de boucliers dans un contexte de restrictions sévères de la liberté d'informer.

"Cette décision liberticide confirme ce que nous avons toujours soupçonné: la volonté de la junte d’éteindre systématiquement les médias libres et indépendants", a déclaré à l'AFP Kalil Oularé, directeur général du groupe Djoma Médias, dont la radio et la télévision font partie des médias censurés. Il a dénoncé un acte "illégal".

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Les autorités ont retiré mercredi les agréments d'exploitation des radios FIM FM, Radio Espace FM, Sweet FM, Djoma FM et de la télévision Djoma TV, invoquant un "non-respect du contenu des cahiers des charges". Les autorités n'ont pas expliqué en quoi ces médias avaient manqué à leurs obligations. Il s'agit du dernier tour de vis imposé aux médias par la junte arrivée au pouvoir par la force en 2021 et dirigée par le général Mamadi Doumbouya.

"Tout ce qu’on reproche aux médias concernés, c’est leurs critiques à l’égard de la gestion du pays et surtout les dénonciations faites par ceux-ci sur les nombreux cas de corruption et de détournement des deniers publics", a dit Kalil Oularé, de Djoma Médias.

Talibe Barry, directeur général de FIM FM, également interdite, a dénoncé le "non-respect" du cahier des charges comme un "prétexte fourre-tout et fallacieux". Il a rappelé que sa radio, comme d'autres, était brouillée depuis des mois, et qu'elle avait continué à opérer en produisant des contenus digitaux. Mais les difficultés de gouvernance actuelles et les doutes quant au respect par les militaires de leur engagement à céder la place à des civils élus d'ici à fin 2024 "ne (leur) permettent pas de s’accommoder d’une presse critique", a-t-il dit.

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L'ONG Reporters sans frontières a rappelé que depuis fin 2023 différentes radios et télévisions étaient brouillées ou inaccessibles et que des sites d'information très consultés avaient été bloqués. Les autorités ont imposé des restrictions prolongées d'accès à internet et détenu un responsable syndical de la presse pendant plus d'un mois, à l'origine d'une grève générale. "La répression des médias doit cesser !", s'est insurgée RSF sur X.

"Paroxysme de la dictature"

Le Forum des forces sociales de Guinée (FFSG), une association d'organisations de défense des droits humains et de la société civile, a fustigé dans un communiqué un retrait d'agréments "massif et incongru". L'influent chanteur de reggae Elie Kamano a crié au "paroxysme de la dictature". L'opposant Cellou Dalein Diallo a condamné "fermement cette autre manifestation de la folie liberticide de la junte", dans un communiqué.

Le pays est classé 78e sur 180 pays dans le classement 2024 de RSF pour la liberté de la presse. La junte a aussi interdit toute manifestation depuis 2022, et fait arrêter, engagé des poursuites ou poussé à l'exil un certain nombre de dirigeants de l'opposition. La répression des manifestations y a fait au moins 47 morts depuis 2021, écrit Amnesty International dans un récent rapport.

L'opposition brandit la menace de nouvelles manifestations pour forcer les militaires à partir fin 2024. L'interdiction des cinq médias a été rendue publique au moment même où des organisations de presse mettaient en place un organe dit "d'autorégulation" censé veiller au respect de la déontologie professionnelle. Le gouvernement avait accepté d'engager des discussions avec la presse pour sortir de la crise mais avait réclamé l'instauration d'un tel organisme.

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Le Premier ministre Amadou Oury Bah avait reproché à la presse de "traîner les pieds" il y a deux semaines. "Peut-être que certains se plaisent dans cette confusion qui permet de dire: le gouvernement guinéen est toujours en train de brimer les médias", avait-il déclaré.

Sekou Jamal Pendessa, responsable du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), a déclaré dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux que les journalistes ne sont pas "concernés" par cet organe, imposé selon lui par les autorités comme un préalable. "L'urgence aujourd'hui, c'est la libération des médias", a-t-il déclaré.