Accusé de crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, le major hutu Mpiranya serait actuellement âgé de 60 ans et il est considéré comme la plus importante des six personnalités encore en fuite et mises en accusation par l'ex-Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Celui qui le devançait jusqu'à peu sur cette liste, Félicien Kabuga, régulièrement présenté comme le financier du génocide, a été arrêté le 16 mai en France. Les autorités judiciaires de ce pays ont décidé mercredi de le remettre à la justice internationale.
Protais Mpiranya est notamment accusé, avec d'autres, d'avoir fait tuer le 7 avril 1994, aux premières heures du génocide des Tutsi, la Première ministre hutu modérée Agathe Uwilingiyimana, dix Casques bleus belges chargés de sa protection et plusieurs personnalités politiques de premier plan, ainsi que leurs familles et domestiques.
La veille au soir, l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana avait été abattu à son approche de l'aéroport international de Kigali.
Le président revenait d'une rencontre régionale à Dar es Salaam où il avait accepté de mettre en place les institutions de transition prévues par les accords d'Arusha, censés mettre fin en 1993 à une guerre civile entre le pouvoir hutu de Kigali et une rébellion tutsi.
L'assassinat de Juvénal Habyarimana déclenche une réunion d'urgence entre l'état-major des Forces armées rwandaises et celui de la gendarmerie, menés par le colonel Théoneste Bagosora, et les responsables militaire et civil de l'ONU dans le pays, le général Roméo Dallaire et Jacques-Roger Booh-Booh.
"Créer un vide politique"
Ces derniers estiment que Mme Uwilingiyimana a l'autorité légale pour prendre le contrôle de la situation et suggèrent qu'elle s'adresse à la population sur les ondes. Refus catégorique du colonel Bagosora qui, avec les membres du pouvoir hutu radical, a d'autres visées en tête.
Dans la matinée du 7 avril 1994, Protais Mpiranya et deux autres responsables militaires "ont ordonné à leurs subordonnés (...) de se lancer à la recherche du Premier Ministre, Agathe Uwilingiyimana, pour la tuer", écrit le procureur du TPIR dans l'acte d'accusation.
Le corps profané de Mme Uwilingiyimana, première femme à avoir occupé ce poste, est exposé, dénudé, à la vue des passants. L'attaque est supervisée par un capitaine de la garde présidentielle, toujours selon l'accusation.
Dans la foulée, plusieurs personnalités et hauts responsables politiques favorables aux accords d'Arusha sont assassinés: le président de la Cour constitutionnelle, le ministre de l'Agriculture, le ministre de l'Information, le vice-président du parti social démocrate pressenti pour le poste de président de l'Assemblée nationale transitoire.
Le but: "Créer un vide politique et faire échouer la mise en œuvre des Accords d'Arusha", selon l'accusation. Et à chaque fois, des membres de la garde présidentielle de M. Mpiranya sont directement impliqués.
Protais Mpiranya est natif de l'ancienne province de Gisenyi (nord du Rwanda), dans la même région d'origine que Juvénal Habyarimana et plusieurs hauts responsables militaires hutu radicaux.
Après sa sortie de l'École supérieure militaire de Kigali en 1983, il est affecté à la gendarmerie nationale.
"Compréhension" de l'endroit où il se cache
En 1991, alors que l'armée rwandaise est aux prises avec les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) conduits par l'actuel chef de l’État Paul Kagame, il est transféré au bataillon de la garde présidentielle. Deux ans plus tard, Mpiranya est promu commandant de cette unité.
Après la défaite des FAR et la fin du génocide en juillet 1994, commence un long chemin d'exil qui le mènera dans plusieurs pays africains.
Selon l'organisation African Rights qui a travaillé sur le génocide de 1994, l'ancien officier se bat aux côtés des forces armées congolaises, en 1998, contre des rebelles congolais soutenus par la nouvelle armée rwandaise.
Selon la presse zimbabwéenne et des informations parues au Rwanda, il sera plus tard envoyé au Zimbabwe pour le compte des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), composées pour partie d'ancien génocidaires et accusées d'exploiter les minerais de l'est de la République démocratique du Congo (RDC).
"A travers nos investigations intensifiées au cours des trois dernières années, nous sommes parvenus à une solide compréhension des mouvements de Mpiranya et de l'endroit où il se cache", a récemment assuré Serge Brammertz, le procureur du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), la structure chargée d'achever les travaux du TPIR.
"Notre tâche est maintenant d'obtenir la coopération nécessaire des pays concernés", a-t-il ajouté.
Si le magistrat belge refuse de nommer ces pays, ses rapports aux Nations unies laissent penser que Protais Mpiranya circulerait en Afrique australe.
Pour Serge Brammertz, l'ancien commandant de la garde présidentielle pendant le génocide des Tutsi en 1994 est donc bien encore en vie, contrairement aux affirmations de certains milieux rwandais en exil.