Génocide rwandais: l'ombre d'un ex-préfet sur le massacre d'une école

"Ma plus grande crainte était pour mes enfants, je ne savais pas comment les protéger", raconte Juliet Mukakabanda, ici au mémorial Murambi à Nyamagabe, dans le sud du Rwanda, le 21 avril 2022.

Juliet Mukakabanda et sa famille s'étaient réfugiées dans une église du sud du Rwanda pour échapper aux exactions des Tutsi mi-avril 1994, lorsque les autorités locales leur recommandèrent de s'abriter dans une école, promettant une "protection" qui se transforma en massacre.

Les autorités locales, dirigées par le préfet Laurent Bucyibaruta, avaient demandé à Juliet, son mari et leurs trois enfants de rejoindre des milliers d'autres familles à l'école technique de Murambi, située en haut d'une colline non loin de là, dans le district de Gikongoro.

Quelques jours plus tard, l'école sera le théâtre d'un des plus sanglants massacres du génocide rwandais, qui a vu 800.000 personnes, essentiellement tutsi, tuées entre avril et juillet 1994. A l'école de Murambi, seules 34 des 50.000 personnes réunies sur place ont survécu, selon des chiffres des Archives du génocide.

La justice française estime que ce massacre a été organisé par les autorités locales, dont l'ancien préfet Laurent Bucyibaruta, jugé à partir de lundi à Paris pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité.

"Fusils, grenades, machettes"

Aujourd'hui âgée de 58 ans, Juliet Mukakabanda témoignera au procès. En avril 1994, cette Hutu et son mari tutsi avaient quitté leur village, terrifiés après des attaques de miliciens extrémistes hutu contre les Tutsi, pour gagner la ville de Gikongoro - rebaptisée depuis Nyamagabe. Guidés par les autorités, ils se pensaient en sécurité à l'école de Murambi.

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Les 18 et 19 avril, de premières attaques de miliciens hutu ont été repoussées par les occupants. Puis le 21 vers 03H00 du matin, "nous avons entendu des balles tirées depuis l'extérieur de l'enceinte de l'école", raconte Juliet Mukakabanda. "Les tueurs avaient des armes à feu, des grenades, des gourdins, des machettes et toutes sortes d'armes mortelles. Ma plus grande crainte était pour mes enfants, je ne savais pas comment les protéger".

Promesses

Deux d'entre eux et son mari ont été tués. Leurs noms figurent sur les stèles de granit noir érigées sur les lieux, transformés depuis 1995 en mémorial. Selon des témoignages, les autorités locales avaient affirmé aux Tutsi qu'ils pourraient mieux les protéger s'ils se réunissaient en un seul lieu.

"C'est lui (Laurent Bucyibaruta) qui a ordonné à la police et aux forces de sécurité de retrouver les Tutsi qui se cachaient dans les églises et dans d'autres lieux et de les rassembler dans un même endroit, sous prétexte de leur assurer une protection", accuse Juliet Mukakabanda, qui vit toujours à Nyamagabe.​ "Les Tutsi ont été escortés à l'école de Murambi par des gardes qui leur ont dit qu'il s'agissait d'un ordre du préfet Laurent Bucyibaruta", affirme-t-elle.

De son côté, l'ancien préfet "conteste depuis le début les accusations", selon ses avocats, qui plaideront l'acquittement. Sur place, les Tutsi s'étaient vu promettre eau et nourriture. L'eau a été coupée et aucune nourriture fournie. La colline a été encerclée.

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Lors de l'attaque du 21 avril, le mari de Juliet Mukakabanda et d'autres hommes sont sortis affronter les assaillants. "Ils se battaient avec tout ce qu'ils pouvaient, même des pierres et des bâtons. Mais ils ne pouvaient pas rivaliser contre des balles et des grenades", dit-elle.

Lorsque les assaillants ont enfoncé la porte, elle s'est agenouillée et a prié, sa fille d'un mois sur son dos. En voyant sa carte d'identité hutu, les tueurs lui ont ordonné de sortir, tandis qu'ils parcouraient les bâtiments, abattant des dizaines de milliers de personnes, dont les corps ont été ensuite jetés dans des fosses communes.

"Plus revu mes parents"

Au mémorial de Murambi, le nom de Laurent Bucyibaruta figure en tête de la liste des 75 génocidaires - responsables politiques, policiers et militaires locaux - accusés d'avoir organisé les massacres dans cette zone.

Vice-président de l'association de victimes Ibuka dans la région de Nyamagabe, Remy Kamugire a perdu ses parents dans une attaque sur l'église de Cyanika, une localité proche où sa famille s'était réfugiée.

"Quand les tueurs sont arrivés, tout le monde a essayé de fuir. J'ai réussi à m'enfuir et à me cacher mais je n'ai plus jamais revu mes parents. Ils ont été tués ce jour-là", raconte cet homme de 44 ans, en montrant le bâtiment - aujourd'hui un commissariat - où le massacre de l'école Murambi a été, dit-il, planifié lors d'une réunion à laquelle participait notamment Laurent Bucyibaruta.

Lors des cérémonies de commémoration du génocide cette année, le ministre de l'Unité nationale et de la Réconciliation, Jean Damascene Bizimana, s'est félicité du procès prévu à Paris.​ "C'est un dossier qui existe depuis plus de vingt ans et de voir ce dossier aboutir à la traduction, à la comparution devant la cour d'assises, c'est une avancée que nous saluons", a-t-il déclaré à l'AFP: "Nous souhaitons que justice soit faite."