Haïti: bras de fer sans arbitre entre l'opposition et le président

Le président haïtien Jovenel Moïse accueille les nouveaux membres du conseil électoral, 22 septembre 2020. (Yves Manuel/VOA Créole)

L'opposition haïtienne a engagé lundi un bras de fer avec le président contesté Jovenel Moïse en désignant un dirigeant censé assurer la transition dans le pays en crise, au lendemain de l'annonce par les autorités qu'elles avaient déjoué un projet de coup d'Etat contre lui.

M. Moïse a en outre assuré avoir échappé à une tentative d'assassinat, et Port-au-Prince a été dimanche le théâtre de manifestations clairsemées émaillées de quelques échauffourées avec la police.


Lundi, l'incertitude politique poussait les habitants de la capitale à rester terrés chez eux. Les rues de Port-au-Prince étaient désertes dans la matinée.


Dans un message vidéo transmis dans la nuit de dimanche à lundi à l'AFP, un magistrat de 72 ans, Joseph Mécène Jean-Louis, déclare "accepter le choix de l'opposition et de la société civile pour pouvoir servir (s)on pays comme président provisoire de la transition".

Selon un ancien sénateur, Youri Latortue, cet intérim est prévu pour durer 24 mois.

"La feuille de route est établie pour deux ans avec l'organisation d'une conférence nationale, l'élaboration d'une nouvelle Constitution et la tenue des élections", a détaillé M. Latortue qui, après avoir été conseiller du président Michel Martelly, mentor de Jovenel Moïse, s'est déclaré opposant au pouvoir.

- Fin de mandat? -

M. Moïse soutient que son mandat à la tête du pays caribéen court jusqu'au 7 février 2022. Mais cette date est dénoncée par une bonne partie de la population haïtienne, selon qui le mandat de cinq ans de M. Moïse est arrivé à terme dimanche 7 février 2021.

Ce désaccord de date est né du fait que M. Moïse avait été élu lors d'un scrutin annulé pour fraudes, puis réélu un an plus tard.

Se gardant de clairement prendre parti, l'ONU semble toutefois valider le calendrier électoral défendu par Jovenel Moïse.

"Il a prêté serment en février 2017 pour un mandat de cinq ans", a déclaré lundi Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'organisation Antonio Guterres.

Les Nations unies se sont dites "inquiètes" de la situation en Haïti et ont appelé au calme les parties en présence.

Washington s'est également déclaré préoccupé et a lancé un appel similaire à la retenue. "La situation demeure trouble et nous attendons les résultats de l'enquête policière", a affirmé un porte-parole du département d'Etat.

Il faisait référence à la "tentative de coup d'Etat" dénoncée dimanche par les autorités haïtiennes, selon lesquelles un juge de la Cour de cassation et une inspectrice générale de la police nationale sont impliquées le putsch avorté.

Vingt-trois personnes ont été arrêtées au total, a précisé dimanche à la presse le Premier ministre, Joseph Jouthe.

"Ils avaient contacté des hauts gradés de la police au Palais national qui avaient pour mission d'arrêter le président, de l'amener dans cette habitation à Petit bois (lieu de leur arrestation dans la capitale, NDLR) et faciliter l'installation d'un nouveau président provisoire qui aurait fait la transition", a détaillé le chef du gouvernement.

Le directeur général de la police nationale, Léon Charles, a précisé que de l'argent et des armes avaient été saisis, notamment deux fusils d'assaut M14, un mini Uzi, trois pistolets 9 mm et plusieurs machettes.

- Crise institutionnelle -

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Haïti : l'opposition nomme un président de transition

Aucune institution haïtienne ne peut aujourd'hui légalement départager ces deux camps qui refusent tout dialogue.

La Constitution, au coeur de cette polémique, est aussi souvent évoquée qu'elle est violée par les politiciens haïtiens.

Le Conseil constitutionnel, qui aurait dû trancher sur la durée du mandat présidentiel, n'existe que sur le papier.

Le Sénat ne peut pas non plus s'ériger en Haute cour de justice comme la loi l'y autorise car, faute d'élections organisées par l'administration Moïse, il ne reste aujourd'hui qu'un seul tiers de sénateurs en fonction.

Gangrenée par la pauvreté et sous la menace quotidienne des gangs qui multiplient les enlèvements contre rançon, la majorité de la population suit avec attention cette guerre politique via les radios et les réseaux sociaux.

Privé de parlement, le pays s'est encore davantage enfoncé dans la crise en 2020. Isolé, le président Moïse gouverne par décret, alimentant une défiance croissante au sein de la population.

Aux dernières élections présidentielles, à peine plus de 20% des électeurs avaient pris part au scrutin portant Jovenel Moïse au pouvoir.