Hissène Habré, 72 ans, en détention depuis deux ans au Sénégal où il a trouvé refuge après avoir été renversé par l'actuel président Idriss Deby Itno, est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture" sous son régime (1982-1990) qui ont fait quelque 40.000 morts, selon les organisations de défense des droits de l'Homme.
Mais à quelques heure de l'ouverture du procès devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), tribunal spécial créé par l'Union africaine (UA) en vertu d'un accord avec le Sénégal, l'incertitude régnait sur la présence de l'unique accusé, qui refuse de comparaître, selon la défense, mais pourrait y être contraint par les juges.
Hissène Habré - qui "va mieux", après une attaque cardiaque en juin - "ne reconnaît pas cette juridiction, ni dans sa légalité, ni dans sa légitimité", a indiqué à l'AFP un de ses avocats, Me Ibrahima Diawara, précisant qu'il a demandé à ses conseils de ne pas assister non plus aux audiences.
Ce procès inédit doit aussi permettre au continent, où les griefs se multiplient contre la Cour pénale internationale (CPI) siégeant à La Haye - dernièrement avec le refus de l'Afrique du Sud d'exécuter le mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir en juin au sommet de l'UA - de montrer l'exemple.
"L'Union africaine considère que la Cour pénale internationale fait de la justice sélective et ne poursuit que des Africains", a rappelé dimanche le porte-parole des CAE, Marcel Mendy.
"L'autre enjeu de ce procès est donc que l'Afrique doit donner la preuve qu'elle est capable de juger ses propres enfants pour que d'autres ne le fassent pas à sa place", a-t-il souligné.
"C'est la première fois au monde - pas seulement en Afrique - que les tribunaux d'un pays, le Sénégal, jugent l'ancien président d'un autre pays, le Tchad, pour des violations présumées des droits de l'Homme", a déclaré à l'AFP Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW).
- 'Informé de toutes les arrestations' -
Hissène Habré sera jugé par des magistrats sénégalais et africains, dont le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, qui présidera les débats.
Depuis l'ouverture de l'instruction, en juillet 2013, "il y a eu quatre commissions rogatoires ayant permis d'entendre presque 2.500 victimes et une soixantaine de témoins", a rappelé la semaine dernière le procureur général des CAE, Mbacké Fall.
Plus de 4.000 victimes "directes ou indirectes" se sont constituées parties civiles. Le tribunal spécial a prévu d'entendre 100 témoins.
L'accusation devra notamment démontrer la responsabilité personnelle de Habré dans les actes de sa redoutable police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), dont sept ex-responsables ont été condamnés en mars dans un procès distinct à N'Djamena à la réclusion à perpétuité, pour "assassinats" et "tortures".
Une responsabilité qui ne fait aucun doute pour Souleymane Guengueng, ancien agent comptable de la Commission du bassin du lac Tchad, détenu pendant plus de deux ans et président fondateur de l'Association des victimes de crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH).
"Il n'y a personne qui pouvait arrêter quelqu'un à la DDS sans que Hissène Habré soit informé: toutes les arrestations, on fait une petite fiche et on la donne à Habré", a affirmé à l'AFP M. Guengueng, présent à Dakar pour le procès.
Afin de "permettre à un maximum de personnes de suivre" le procès, notamment les parties civiles qui ne pourront y assister, les audiences seront "filmées et enregistrées" pour être diffusées en différé, d'après Mbacké Fall.
Seule une sélection des débats sera montrée par la télévision publique sénégalaise RTS, "le diffuseur hôte", qui mettra gratuitement un signal à la disposition des médias, a-t-il précisé.
Les audiences sont prévues du 20 juillet au 22 octobre. Si l'accusé est reconnu coupable, s'ouvrira une autre phase durant laquelle seront examinées d'éventuelles demandes de réparation au civil.
En cas de condamnation, Hissène Habré, qui encourt entre 30 ans de prison ferme et les travaux forcés à perpétuité, pourra purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays membre de l'UA.
Le budget du tribunal spécial "avoisine les 6 milliards de FCFA" (près de 9,15 millions d'euros), financés par plusieurs bailleurs: France, Belgique, Pays-Bas, Etats-Unis, UA, Union européenne, Tchad, selon le procureur.
(Avec AFP)