Mais depuis environ un mois, les forces de sécurité éthiopiennes ont entrepris une campagne de désarmement visant principalement la communauté bodi, une mesure nécessaire selon les autorités pour le développement d'une région où sont menés plusieurs projets controversés (barrage hydroélectrique, plantations de cannes à sucre).
Or, selon les aînés bodi et plusieurs témoins, ce désarmement est accompagné de meurtres, détentions arbitraires et traitements inhumains.
Des incidents qui confirment que le pays dirigé par le lauréat 2019 du Prix Nobel de la paix, le Premier ministre Abiy Ahmed, voit sa situation sécuritaire se détériorer à l'approche d'élections législatives prévues en mai 2020, malgré une série de réformes en vue de l'ouverture de l'espace démocratique.
La communauté bodi vit dans une des régions d'Ethiopie les plus volatiles et ethniquement variées, celle des Nations, Nationalités et Peuples du Sud (SNNP).
Trois aînés bodi interrogés par l'AFP ont assuré avoir connaissance de la mort de près de 40 personnes, tout en estimant que le bilan pourrait être plus élevé. Les autorités réfutent ces accusations.
"Ils nous tuent sans raison", affirme Shegedin, un aîné bodi détenu pendant plusieurs jours, refusant de donner son nom entier par peur de représailles. "Ils vont dans les villages, et si vous courez, ils tirent".
Le nombres d'abus rapportés ne cessant d'augmenter, les organisations de défense des droits de l'homme et les chercheurs travaillant dans la région tirent la sonnette d'alarme.
"Les récits (...) sont suffisamment choquants et de sources suffisamment crédibles pour rendre impérative une enquête par des organisations de défense des droits de l'homme respectées internationalement", soutient David Turton, un anthropologue de l'université d'Oxford travaillant dans la région depuis 50 ans.
L'absence d'enquête "ne ferait que renforcer le soupçon selon lequel ces récits sont exacts", ajoute-t-il.
- Exhumer -
Les tensions entre les Bodi et le gouvernement existent depuis longtemps, les premiers estimant être évincés de certaines de leurs terres, allouées à des Ethiopiens venus d'autres régions et des projets d'infrastructure controversés comme des plantations de cannes à sucre ou le barrage hydroélectrique Gibe III.
Mais les violences du mois écoulé sont d'un tout autre niveau, selon les aînés.
Des hommes et femmes détenus dans la ville de Hana ont été privés de nourriture et obligés de rester sous un soleil de plomb pendant des heures, disent les aînés, qui accusent les forces de sécurité d'exhumer les restes de leaders spirituels enterrés il y a longtemps pour ensuite leur tirer dessus.
Ils assurent également qu'elles ont forcé un homme à couper ses longs cheveux - qu'il laissait pousser depuis la mort de son frère, une tradition bodi - pour le forcer à les manger.
Les forces de sécurité fédérales ont pris le contrôle de la région SNNP en juillet, après des troubles résultant de la tentative des membres de l'ethnie sidama de former leur propre Etat régional, alors que dix autres groupes ethniques ont des ambitions similaires dans la région.
- Armes automatiques -
Or, la stabilisation de la vallée de l'Omo est cruciale aux yeux du gouvernement, qui souhaite y cultiver 100.000 hectares de plantations de canne à sucre et y construire des usines de traitement.
L'armée et la police fédérale ont saisi des armes automatiques achetées à des marchands d'armes les acheminant depuis le Soudan du Sud, a indiqué Lore Kakuta, un conseiller du chef de la zone de l'Omo du Sud, basé à Jinka.
M. Lore, qui a refusé de commenter les accusations de violations des droits de l'homme, a justifié le désarmement en accusant les Bodi d'avoir attaqué des travailleurs d'usines de traitement de canne à sucre. Une accusation rejetée par les aînés.
Un haut responsable policier de Jinka, sous couvert d'anonymat, a qualifié de "fausses" les affirmations selon lesquelles des dizaines de Bodi ont été tués.
Selon M. Lore, le désarmement de la communauté bodi était "réalisé à 90%" début octobre. Le conseiller a également ajouté que l'opération pourrait être élargie aux Mursi, une autre communauté pastorale de la région.
Laetitia Bader, de l'ONG Human Rights Watch, rappelle que le gouvernement éthiopien a régulièrement par le passé utilisé la violence et l'intimidation pour chasser des populations de leurs terres.
"Le gouvernement fédéral devrait prendre des mesures pour s'assurer que tout effort de désarmement ne soit pas perçu comme une perpétuation de cette approche musclée", estime-t-elle.
Selon elle, les autorités devraient dialoguer avec les communautés locales avant de prendre de telles mesures, et s'assurer que les abus allégués fassent "immédiatement" l'objet d'une enquête.
Avec AFP