La Cour suprême évite de trancher sur la loi anti-IVG en Irlande du Nord

Manifestants pro-choice en Irlande du Nord, devant la mairie de Belfast, le 28 mai 2018.

Invoquant des questions de procédure, la Cour suprême britannique n'a pas tranché sur la légalité de l'interdiction de l'avortement, mais la majorité des sages l'estiment contraire aux droits de l'Homme.

La Commission des droits de l'Homme d'Irlande du Nord (NIHRC) avait demandé à la justice de dire si l'interdiction de l'IVG en cas de viol, d'inceste ou de malformation grave du fœtus était compatible avec la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH), incorporée au droit britannique.

Cette commission considère que la loi criminalise des femmes "exceptionnellement vulnérables" et les rend sujettes à des traitements "inhumains et dégradants."

Mais la majorité des membres de la plus haute juridiction du Royaume-Uni a jugé que la NIHRC n'était pas habilitée à "engager une procédure (...) de cette nature", non fondée sur des cas particuliers de femmes victimes de la législation anti-IVG nord-irlandaise, l'une des plus restrictives et plus répressives d'Europe.

Contrairement au reste du Royaume-Uni où il est autorisé depuis 1967, l'avortement est illégal en Irlande du Nord, une province de forte tradition chrétienne, sauf si la grossesse menace la vie de la mère. Les contrevenantes risquent une peine d'emprisonnement à vie, en vertu d'une loi datant de 1861.

- "Incompatible" -

La Cour suprême a toutefois noté que si la NIHRC avait été compétente, la majorité des sept magistrats aurait jugé que la législation nord-irlandaise est "incompatible" avec la CEDH en cas de viol, d'inceste et d'anomalie mortelle du fœtus, mais pas en cas d'anomalie grave.

"La loi actuelle doit être reconsidérée de manière radicale", a commenté le vice-président de la Cour, Jonathan Mance.

Pour Andrew Copson, le directeur de l'organisation Humanists UK, "c'est une victoire".

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"Ce n'est pas une conclusion contraignante (...) mais cela mettra la pression sur le Parlement pour agir", a de son côté fait valoir Ruth Fletcher, maître de conférences en droit médical à la Queen Mary University de Londres.

De quoi accroître la pression sur la Première ministre britannique Theresa May, pressée par des députés de l'opposition comme de sa majorité de procéder à une réforme, depuis que la République d'Irlande voisine s'est massivement prononcée par référendum fin mai en faveur d'une libéralisation de l'IVG.

"Le gouvernement étudie attentivement le jugement et ses implications", a réagi Karen Bradley, la ministre britannique chargée de l'Irlande du Nord, devant la chambre des Communes. "Les analyses et les commentaires de la Cour sur cette question d'incompatibilité seront clairement entendus par cette chambre (la Chambre des Communes, à Londres) et les (responsables) politiques en Irlande du Nord."

Le sujet est particulièrement délicat pour la Première ministre britannique. Sa majorité parlementaire dépend du parti nord-irlandais DUP, protestant et farouchement opposé à l'avortement et elle compte sur son soutien pour faire passer son projet de loi très contesté sur le Brexit, qui revient le 12 juin devant la chambre des Communes.

- "Agir sans délai" -

Jusqu'ici, Mme May a soutenu que ce dossier était de l'unique compétence des responsables d'Irlande du Nord, bien que cette dernière soit engluée dans une crise politique depuis début 2017 et privée d'un exécutif décentralisé.

Mais le Parlement de Westminster, à Londres, entend bien s'emparer du sujet, arguant du fait qu'il reste compétent pour les questions relatives aux droits de l'Homme.

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"La loi doit être modifiée pour éviter aux femmes et aux jeunes filles de subir plus d'anxiété et de souffrances. En l'absence d'un gouvernement et d'une assemblée en Irlande du Nord, il revient au gouvernement britannique de procéder à ce changement et il doit agir sans délai", a réclamé Les Allamby, le commissaire général de la NIHRC, dans un communiqué.

"La décision rendue aujourd'hui envoie un message très fort et clair au gouvernement britannique", a renchéri Andrew Copson. "Il ne peut attendre que l'assemblée nord-irlandaise se réunisse à nouveau et agisse peut-être: il doit maintenant agir lui-même", a-t-il insisté dans un communiqué.

En 2016, l'assemblée nord-irlandaise avait rejeté un assouplissement de la législation anti-IVG.

Avec AFP