Shinzo Abe a conquis des voix mais pas les coeurs au Japon

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe,Tokyo, Japon, le 20 octobre 2017.

Shinzo Abe a remporté les deux tiers de la chambre basse du Parlement japonais, mais n'a pas conquis le coeur des électeurs, méfiants à l'égard de ses instincts nationalistes et de son vieux dessein de modifier la Constitution pacifiste, estiment les analystes.

Il a ainsi les moyens d'avancer dans son projet de révision de la loi fondamentale, dictée en 1947 par les États-Unis après la reddition du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont l'article 9 consacre la renonciation "à jamais" à la guerre.

Mais cette victoire est pour M. Abe, 63 ans, plus un succès par défaut, selon des enquêtes et les analystes.

L'élection a mis en lumière "les relations difficiles de M. Abe avec le peuple japonais", a déclaré Tobias Harris, spécialiste de politique japonaise de la société de conseil Teneo Intelligence, basée à Washington. "Il y a une reconnaissance de certaines choses qu'il a faites mais il n'est pas aimé".

Selon un sondage réalisé à la sortie des bureaux de vote par l'agence de presse Kyodo, 51% des électeurs ne font pas confiance au Premier ministre. Dans une enquête du quotidien de gauche Asahi Shimbun, 47% des personnes interrogées voudraient voir quelqu'un d'autre aux commandes.

Il y a seulement quelques mois, une telle éventualité paraissait possible. M. Abe, empêtré dans des scandales et affaibli par une défaite historique de son parti à l'élection de l'assemblée de la ville de Tokyo, luttait pour sa survie politique.

Opposition en ruines

Lorsqu'il a soudain annoncé des législatives anticipées le mois dernier, les critiques ont dénoncé une manoeuvre opportuniste destinée à prendre de court une opposition faible, et à détourner l'attention des allégations de favoritisme au profit d'un ami dans une transaction, que M. Abe nie vigoureusement.

Un court instant, il a semblé que le pari du Premier ministre allait se retourner contre lui, lorsque la charismatique gouverneure de la ville de Tokyo, Yuriko Koike, a annoncé la création d'un nouveau parti, de droite lui aussi. Ce coup de théâtre a attiré l'attention des médias sur elle pendant plusieurs jours.

Le lancement du Parti de l'espoir a réveillé une scène politique japonaise léthargique, et précipité la désintégration du principal parti d'opposition, le Parti démocrate du Japon, et la création d'un autre nouveau mouvement, le Parti démocratique constitutionnel du Japon (centre gauche).

Mais Mme Koike a vu fondre sa cote de popularité en ne se présentant pas comme candidate au Parlement, dans un pays où la Constitution impose que le Premier ministre soit choisi parmi les députés ou les sénateurs.

"Il apparaît à présent que le Parti de l'espoir est sans espoir", a ironisé Michael Cucek, professeur à l'Université Temple de Tokyo, interrogé par l'AFP.

A présent, la formation d'une opposition capable de former un gouvernement pourrait prendre 10 ans, estime M. Harris.

Pas carte blanche

M. Abe devrait faire usage de sa victoire pour s'engager dans le long processus d'une révision de la Constitution, afin de parvenir à terme à faire des Forces d'autodéfense une armée à part entière. Ce projet lui tient à coeur et il a le soutien de la droite nationaliste, mais il est tabou pour une majorité de Japonais.

Pour nombre d'entre eux, l'article 9 de la loi fondamentale tourne la page de l'impérialisme et des atrocités commises en Chine et en Corée par l'armée japonaise avant et pendant le conflit, ainsi que de l'horreur de la bombe atomique infligée par l'armée américaine en août 1945 à Hiroshima et Nagasaki.

Conscient de ce désamour et de ce décalage, M. Abe a montré dimanche soir un visage de modestie et de prudence, disant relever le défi de la victoire "avec humilité".

Quant à réviser la Constitution, il ne s'est pas montré pressé. "Je ne prévois pas de proposer (l'amendement) avec la seule coalition au pouvoir. Nous essayerons d'avoir le soutien du plus grand nombre possible", a-t-il dit.

"Gagner une élection dans une démocratie ne donne pas carte blanche au vainqueur, et il serait bien trop confiant s'il pensait que les gens sont satisfaits des cinq dernières années de gestion des affaires", commentait lundi le quotidien de gauche Asahi.

Avec AFP