En 2015, un mouvement de contestation contre le pouvoir central voit le jour dans sa région de l'Oromia. M. Jawar mobilise sa chaîne de télévision, l'Oromia Media Network (OMN), pour l'amplifier, ce qui lui vaut d'être poursuivi pour tentative de coup d'Etat en 2017.
Le mouvement finira par emporter le gouvernement et débouche en 2018, pour la première fois dans l'histoire du pays, sur la nomination d'un Oromo au poste de Premier ministre, en la personne d'Abiy Ahmed.
Les charges pesant contre M. Jawar sont vite abandonnées et le magnat des médias n'hésite pas à souligner à qui veut l'entendre son rôle dans l'ascension de M. Abiy, les deux hommes étant alors perçus comme des alliés objectifs.
Mais l'idylle n'a que peu duré: cette semaine, Jawar Mohammed était de retour sur le banc des accusés, inculpé notamment de terrorisme et d'incitation à la violence.
Un revirement emblématique des turbulences de la vie politique éthiopienne et des relations complexes qu'entretiennent le Premier ministre et les autres leaders oromo.
Lire aussi : L'opposant éthiopien Jawar Mohammed inculpé pour terrorisme
Le "microphone" oromo
Alors que le pays se prépare à des élections générales cruciales l'année prochaine, le procès de l'opposant pourrait jouer sur la perception qu'auront les Ethiopiens des réelles ambitions démocratiques de leur Premier ministre.
A moins que le ministère public ne présente des preuves convaincantes contre M. Jawar, ses soutiens crieront sûrement au "procès politique" en cas de condamnation de leur champion, estime William Davison, analyste à l'International Crisis Group.
"Il sera alors très difficile pour les autorités de mener avec succès les élections (...) et ce scrutin ne sera alors pas le grand moment démocratique que tout le monde attend", ajoute-t-il.
En 2015, un projet d'extension des frontières administratives d'Addis Abeba sur la région Oromia (qui entoure la capitale) avait déclenché les manifestations, les Oromo estimant que le gouvernement cherchait à s'accaparer leurs terres.
M. Jawar, un homme trapu à la voix haut-perchée et portant un bouc, avait alors utilisé l'OMN pour coordonner les manifestations contre le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), la coalition de quatre partis, tous établis sur une base ethnique, au pouvoir depuis 1991.
Leur cible était principalement la partie tigréenne de la coalition, la plus influente, qu'ils accusaient de réprimer les dissidents oromo et de marginaliser leur communauté.
Alors en exil aux États-Unis, M. Jawar vivait sur le fuseau horaire éthiopien et restait éveillé la nuit pour partager des informations grâce à son réseau d'amis Facebook, comptant plus d'un million de personnes.
Disputes avec Abiy
Mais la notoriété de celui qui se décrivait comme le "microphone" de la jeunesse oromo lui valut aussi de puissantes inimitiés.
Tandis que des policiers en civil commencèrent à parcourir l'Oromia, arrêtant les habitants qui regardaient l'OMN, des commentateurs l'accusèrent d'incitation à la violence, notamment contre les Tigréens.
Jawar Mohammed est rentré en Ethiopie à la faveur de l'arrivée au pouvoir d'Abiy Ahmed. Mais une année à peine a suffi pour que les désaccords publics émergent avec le Premier ministre.
Comme d'autres leaders nationalistes oromo, l'opposant a reproché à M. Abiy d'être un piètre défenseur des intérêts de la communauté et, plus récemment, de se comporter en dictateur.
La querelle a pris de l'ampleur lorsqu'en octobre 2019, M. Jawar, protégé en permanence par des gardes armés, a accusé le gouvernement de vouloir lui retirer cette protection et d'orchestrer une attaque contre lui. Accusations qui avaient déclenché à Addis Abeba de violentes manifestations anti-Abiy, lors desquelles plusieurs dizaines de personnes avaient trouvé la mort.
Le mois suivant, M. Jawar rejoignait le parti du Congrès Fédéral Oromo et annonçait qu'il serait candidat aux élections générales prévues en août.
"Prêt à mourir"
Après le report des élections, en raison de l'épidémie de coronavirus, M. Jawar a accusé le Premier ministre d'étendre artificiellement le terme de son mandat, qui expirait début octobre.
Les accusations qui pèsent actuellement contre M. Jawar sont liées aux violences qui ont éclaté après le meurtre fin juin de Hachalu Hundessa, un chanteur populaire oromo devenu un porte-drapeau de sa communauté.
Ces violences ont fait entre 178 et 239 morts selon les sources et ont été suivies d'une vague de quelque 9.000 arrestations, suscitant des critiques à l'endroit du Premier ministre, lauréat en 2019 du prix Nobel de la Paix.
Bien que les accusations contre M. Jawar doivent encore être détaillées, elles sont liées à une bagarre autour du corps du chanteur qui aurait dégénéré et conduit à la mort d'un agent de police.
Cette semaine, il a rejeté lors d'une audience le dossier monté contre lui, dénonçant un complot d'Abiy Ahmed pour bloquer ses rivaux plutôt que de les affronter dans les urnes.
"Le public sait ce qu'il se passe réellement", a-t-il dit au tribunal selon son avocat. Et d'ajouter: "Je suis plus que prêt à mourir pour mon peuple".