A la question de savoir quelle lecture il fait de l’insécurité accrue en RDC, l’homme qui assure l’intérim à la tête de l’UDPS depuis le décès en février d’Etienne Tshisekedi estime que la situation actuelle "traduit l’absence de l’autorité au Congo". Pour Jean Marc Kabund, l’insécurité accrue en RDC constitue "le signe de l’échec du régime de Kabila qui avait pourtant fait de la sécurité et de la paix des thèmes majeurs lors de sa campagne pour la présidentielle en 2016".
"Vous parlez bien du Kasaï qui est un phénomène nouveau, vous parlez de l’insécurité en plein centre-ville de Kinshasa où il y a des tueries et au Bas-Congo. Cela nous pousse à croire que ce n’est pas un hasard. Nous savons que M. Kabila qui est aujourd’hui au pouvoir, gère par défi. Il avait déjà fini son second mandat le 19 décembre de l’année passée, il ne veut pas quitter le pouvoir. Et dans ses stratagèmes, il institue un état d’urgence de fait en étant lui-même auteur de cette insécurité pour justifier par exemple la non-tenue des élections ; un état d’urgence qu’il veut instituer afin de se maintenir au pouvoir. C’est lié. L’insécurité vécue actuellement au Congo, c’est l’œuvre du pouvoir en place, du régime qui n’a pas encore réussi à exécuter le plan de se maintenir au pouvoir et qui cherche à intimider le peuple congolais, à mettre la communauté internationale devant un fait accompli et bénéficier d’une prolongation," soutient M. Kabund.
Le leader actuel de l’UDPS lie cette situation au énième report des élections annoncé par le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), M. Corneille Nangaa, qui a évoqué, la semaine dernière, l’impossibilité de tenir l’échéance de décembre 2017 fixée par l’accord politique du 31 décembre 2016.
"M. Nangaa racontait qu’il avait besoin d’un consensus politique, d’un compromis politique pour publier un calendrier électoral. Nous sommes allés au dialogue où M. Nangaa était expert dans la commission qui traitait des questions électorales. L’accord politique parle des élections avant fin 2017. C’est un consensus politique auquel M. Nanga devait accommoder le processus électoral. Mais il ne l’a pas fait. Nous ne sommes pas surpris. Nous savions déjà que M. Nangaa était une caisse de résonnance du pouvoir en place et qu’il ne pouvait faire que ce que le pouvoir lui demandait. Au fait, le pouvoir de M. Kabila n’est pas dans le schéma d’une alternance au Congo. Et pour ça, il faut utiliser la CENI, la Cour constitutionnelle -des mécanismes censés protéger la loi, censés protéger le consensus- pour lui donner une certaine prolongation," déplore M. Kabund.
Quant à savoir si l’opposition congolaise n’a pas joué pas un rôle dans ce report avec d’une part le refus de l’UDPS et d’une partie du Rassemblement (principale plateforme d’opposition) de rencontrer le président Joseph Kabila après l’impasse au dialogue, M. Kabund estime que "le président Kabila étant la cause du problème, il ne devrait prendre aucune initiative".
"Les évêques ont regretté, par après, d’avoir remis l’initiative à M. Kabila. Le président a échoué à organiser les élections, il devrait plus avoir aucune initiative," se défend M. Kabund.
En rapport avec le boycott du gouvernement et le rejet de tractations avant la mise sur pieds du Conseil de suivi de la transition, le secrétaire général de l’UDPS rappelle que le but-même du dialogue n’était pas "un partage du pouvoir".
"Il ne suffisait pas seulement de nommer un Premier ministre. Il était question de baliser la voie à de bonnes élections", recadre M. Kabund.
"Nous avions simplement respecté l’accord. Nous, nous étions en devoir de présenter un Premier ministre et le président Kabila, de le nommer. Ayant échoué d’organiser les élections, M. Kabila devrait savoir qu’un nouveau cadre devait être mis sur pied. Et ce cadre lui arrachait certains de ses pouvoirs et les donner à l’opposition, " explique le secrétaire général de l’UDPS, accusant le président Kabila d’avoir violé l’accord et fait dédoubler le Rassemblement pour compliquer la donne.
Le président Kabila avait nommé en mars dernier Brunon Tshibala, un proche d’Etienne Tshisekedi comme Premier ministre mais son parti, l’UDPS, l’a exclu et boycotté son gouvernement.
Autre question évoquée au cours de l’interview, le rapport entre Moïse Katumbi et l’UDPS. Car Félix Tshiskedi, secrétaire général adjoint du parti et fils du défunt Etienne Tshisekedi, a récemment annoncé sa candidature à la présidentielle. Pourtant, M. Katumbi, son allié, avait également déclaré qu’il était candidat à la présidentielle.
"Nous avons de très bonnes relations avec M. Katumbi. Il n’est interdit à aucun parti d’avoir un candidat mais nous verrons plus tard ce qu’il faudra faire dans le cadre des alliances, " se justifie M. Katumbi.
Le rapatriement de la dépouille mortelle d’Etienne Tshisekedi décédé le 1er février a également été évoqué dans cette interview. Après près de six mois, le corps du leader de l’UDPS est encore dans une morgue à Bruxelles en dépit des tractations entre le gouvernement, son parti et sa famille.
M. Kabund pointe du doigt le gouvernement l’accusant du blocage.
"C’est très malheureux pour nous et pour le pays dans la mesure où Joseph Kabila met tout en œuvre pour empêcher le rapatriement du corps du président Tshisekedi au pays. Nous avons tout fait. Nous avons même décidé de le faire avec nos propres moyens. Mais on ne nous a pas laissé faire. Pour prouver notre bonne foi, nous avions même accepté de collaborer avec ce régime illégitime pour obtenir ce rapatriement, mais en vain. Tout récemment, nous avions eu un compromis qui devait être sanctionné par un simple communiqué mais jusqu’à aujourd’hui, c’est maintenant près de deux mois, ce communiqué n’a pas toujours été signé par le gouvernement," se plaint M. Kabund.
"C’est la peur bleue que Kabila a. Nous l’avions entendu de leur propre bouche : Ils ont peur de la mobilisation que ce corps pourrait occasionner à Kinshasa lors de son arrivée et même pendant les obsèques. Ils ont dit clairement qu’il leur était impossible de gérer trois millions de personnes dans les rues de Kinshasa. Mais cette peur-là est justifiée par leur propre attitude. Nulle ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. C’est eux qui ont refusé d’appliquer l’accord. C’est eux qui ont mis le peuple congolais dans une situation difficile, de misère et de pauvreté. Mais ils refusent maintenant parce que le peuple congolais peut trouver en cela une occasion de s’exprimer. Bien entendu, ils se disent qu’une révolution peut se déclencher à l’arrivée de ce corps," accuse M. Kabund.
Propos recueillis par Eddy Isango