"Personne ne devrait être renvoyé de force en Libye", selon HRW

Le directeur de Human Right Watch Kenneth Roth, à Beyrouth, Liban, le 29 janvier 2015.

L'Europe ne doit pas, même indirectement, prendre le risque de renvoyer des migrants en Libye, où ils sont traités de manière "atroce", martèle le directeur de Human Right Watch, Kenneth Roth, infatigable défenseur des droits de l'Homme depuis plus de 30 ans.

Les images chocs de CNN, montrant en novembre une vente d'esclaves africains près de Tripoli, n'ont pas surpris cet Américain de 62 ans, dont l'organisation aussi crainte que respectée s'étend désormais dans quelque 90 pays.

"Human Rights Watch le rapportait depuis un certain temps déjà: la manière dont les migrants sont traités en Libye est atroce. Nous recueillons sans cesse des témoignages de travail forcé, d'abus sexuels, de torture", rappelle-t-il lors d'un entretien avec l'AFP au siège parisien de HRW, à l'occasion de la publication jeudi du rapport mondial 2018.

"Personne ne devrait être renvoyé de force en Libye aujourd'hui", tranche-t-il, regard perçant derrière ses lunettes rectangulaires, en épinglant l'attitude ambigüe de l'Union européenne.

Les bateaux européens "ne renvoient pas les gens en Libye" mais l'Union européenne, en particulier l'Italie, "font indirectement ce qu'ils ne peuvent pas faire directement, en formant les gardes-côtes libyens qui ramènent les migrants" en Libye, dénonce M. Roth.

"Il y a plus de migrants qui meurent en Libye qu'en essayant de traverser la Méditerranée", poursuit-il en citant les chiffres de l'Organisation internationale des migrations (OIM), "ça vous donne une idée de la gravité de la situation".

En 2017, au moins 3.116 migrants sont morts ou disparus en tentant la traversée vers l'Europe, selon l'OIM. Mais les tentatives de traversées ont chuté depuis l'été, après des accords entre Rome et les autorités et milices libyennes pour empêcher les migrants de prendre la mer.

"L'Europe a la responsabilité de contrôler ses frontières, personne ne le conteste" mais qu'elle "tente de limiter l'afflux des migrants en investissant économiquement dans leurs pays ou en agissant contre les répressions qu'ils fuient", réclame Kenneth Roth, fils d'un juif allemand qui a fui l'Allemagne nazie.

La Libye n'est qu'un des multiples dossiers que suit attentivement ce juriste américain, qui évoque avec la même précision les persécutions des Rohingyas en Birmanie que la politique anti-terroriste d'Emmanuel Macron.

Derrière lui, une multitude de rapports multicolores s'étage dans une immense bibliothèque: Human Rights Watch publie une centaine de rapports ou d'analyses chaque année, un tous les trois jours.

Dans son tour d'horizon annuel, 91 pays sont passés au crible, de l'Afghanistan au Zimbabwe.

Entré en 1987 à Human Rights Watch, dont il est devenu le directeur exécutif six ans plus tard, Kenneth Roth a transformé la modeste organisation non gouvernementale en une multinationale de 425 salariés, financée par des dons de particuliers et de fondations, telle celle du milliardaire George Soros.

'Non-partisan'

HRW a bâti sa crédibilité sur deux principes: "exactitude et objectivité", dit son directeur, en soulignant que l'organisation n'a jamais commis de "grosse erreur".

"Nous appliquons ces principes quelle que soit la ligne politique du pays, de gauche ou de droite, qu'il s'agisse de gouvernements ou groupes rebelles. Nous ne sommes pas partisans", souligne-t-il.

S'il qualifie l'arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump de "moment de désespoir", Kenneth Roth n'épargne pas son prédécesseur, Barack Obama.

"J'admire le président Obama" mais "il n'a pas été prêt à payer le prix politique de la fermeture de Guantanamo, ni à faire quoi que ce soit pour empêcher Bachar al-Assad de commettre des atrocités de masse en Syrie", regrette-t-il.

Quant à Emmanuel Macron, dont il salue la fermeté face à la Russie ou la Turquie, il "s'est montré moins sévère avec le président Xi Jinping".

"Il semble plus disposé à défendre les droits humains quand les intérêts commerciaux français ne sont pas en jeu", critique M. Roth.

L'ancien diplômé de droit de Yale ne se voyait pas "en avocat représentant n'importe quel client. J'avais besoin de croire à ce que je faisais".

"Mon père a grandi dans l'Allemagne nazie et s'est enfui enfant à New York en 1938. J'ai donc grandi avec ses récits sur Hitler (...) Cela m'a rendu très sensible au mal que les gouvernements peuvent faire et extrêmement déterminé à faire ce que je pouvais pour les en empêcher".

Avec AFP