Kenya : deux athlètes accusent la Fédération de tentative de corruption

Francisca Koki Manunga et Joyce Zakari, suspendues pour dopage, accusent le directeur général de la Fédération kényane de leur avoir demandé un pot-de-vin pour atténuer la durée de leur suspension, ce qu'il dément.

Deux athlètes kényanes ont pour la première fois brisé la loi du silence, accusant publiquement jeudi le directeur général de la Fédération kényane d'athlétisme (AK) de leur avoir demandé un pot-de-vin courant 2015 pour atténuer la durée de leur suspension pour dopage, ce qu'il dément.

Francisca Koki Manunga (400 m haies) et Joyce Zakari (400 m) avaient été contrôlées positives à un produit masquant interdit lors des Mondiaux d'athlétisme de Pékin en août 2015. Fin novembre, la Fédération kényane les suspendait pour quatre ans.

Le 16 octobre 2015, un mois avant que leur suspension ne tombe, "le directeur général de la Fédération kényane, Isaac Mwangi, nous a demandé de lui verser 2,5 millions de shillings" (environ 21.000 euros) en échange de suspensions allégées, a affirmé jeudi à l'AFP Francisca Koki Manunga.

"Nous n'avions pas les moyens de débourser une telle somme d'argent. Pour ma part, je n'ai jamais vu autant d'argent de ma vie", a-t-elle ajouté.

"Nous avons trouvé que c'était injuste de la part d'un officiel de nous demander de l'argent, alors même que nous étions dans une situation désespérée", dans l'attente de la décision concernant leur suspension, a-t-elle souligné.

Les deux athlètes expliquent ne pas avoir déposé de plainte auprès de la police, faute de preuve irréfutable et aussi par craintes de représailles.

Interrogé par l'AFP, Isaac Mwangi a rejeté ces accusations en bloc: "Ce n'est pas vrai. Je ne leur ai pas demandé d'argent", a-t-il affirmé.

La Fédération kényane, dans un communiqué, a rappelé que les deux sprinteuses n'avaient pas fait appel de leur suspension, alors qu'elles en avaient la possibilité.

"Elles ont préféré prendre une voie plus simple, en diffamant des personnes et la Fédération, par le biais de fausses accusations", poursuit le communiqué.

Prêtes à témoigner devant l'IAAF

C'est la première fois que des athlètes kényans portent publiquement des accusations aussi lourdes contre leur fédération.

Et les deux sprinteuses ne comptent pas en rester là: elles se disent prêtent à témoigner devant la commission d'éthique de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF), qui enquête actuellement sur plusieurs hauts responsables de l'AK.

"Nous espérons de tout notre coeur que nous serons entendues, car nous pensons que de nombreux autres athlètes ont été confrontés au même dilemme", à savoir céder ou non au chantage, a déclaré Francisca Koki Manunga.

Récemment, un membre de la famille d'une des stars de l'athlétisme kényan confiait à l'AFP que celle-ci avait été approchée dans les mêmes circonstances par un responsable de la fédération qui lui demandait quelque 200.000 euros pour atténuer une suspension pour dopage.

L'agence antidopage "très troublée"

Le Kenya est mondialement renommé pour ses athlètes et ses marathoniens. Le pays a terminé en tête au tableau des médailles des Mondiaux-2015 d'athlétisme à Pékin, pour la première fois de son histoire, avec sept médailles d'or, six d'argent et trois de bronze.

Mais l'athlétisme kényan traverse une crise profonde, touché à la fois par le dopage et de très forts soupçons de corruption.

"L'Agence mondiale antidopage est très troublée par les informations faisant état d'extorsion et de corruption au niveau national", a réagi le directeur général de l'AMA, David Howman, dans un communiqué.

"L'AMA aura bien évidemment besoin de plus d'éléments de la part des personnes concernées sur ces accusations, pour déterminer s'il y a lieu d'enquêter pour nous ou pour la commission d'éthique de l'IAAF", a ajouté M. Howman.

Quoi qu'il en soit, ces allégations "illustrent l'importance de mettre sur pied au plus vite une agence antidopage nationale indépendante et forte. Il s'agit d'une mesure vitale pour un pays de la stature sportive du Kenya, afin de protéger les athlètes propres", a-t-il encore souligné.

Début décembre, la commission d'éthique de l'IAAF avait annoncé la suspension provisoire de trois responsables de la Fédération kényane, dont son président Isaiah Kiplagat, "dans l'intérêt de l'intégrité du sport".

Les deux autres responsables provisoirement suspendus sont David Okeyo, vice-président de l'AK et membre du conseil de l'IAAF, et Joseph Kinyua, trésorier de l'AK.

Les investigations de la commission d'éthique portent sur des faits de "subversion présumée du processus de contrôle antidopage au Kenya et détournement présumé de fonds reçus par l'AK de la part de (l'équipementier sportif) Nike".

AFP