Hommage des réfugiés burundais aux victimes de décembre 2015 à Kigali

Une délégation burundaise rendant visite à des réfugiés au Rwanda.

"Nous sommes ici pour commémorer, sentir que nous sommes toujours ensemble même s'ils sont morts", confie Darcy, un réfugié de 32 ans, venu comme 200 autres Burundais rendre hommage lors d'une messe à Kigali à ses compatriotes disparus les 11 et 12 décembre 2015 à Bujumbura.

Le 11 décembre, trois casernes militaires - deux dans la capitale burundaise Bujumbura, et une dans une province voisine - font l'objet d'une attaque coordonnée par des groupes armés hostiles au président burundais Pierre Nkurunziza.

Dans la foulée, les forces de sécurité procèdent à des ratissages dans les quartiers contestataires au cours desquels ils sont accusés d'avoir procédé à des exécutions sommaires. Les violences, les pires enregistrées depuis un coup d'Etat manqué en mai, ont fait 87 morts selon le gouvernement, tandis que l'ONU évoque un bilan de 200 civils tués.

"Ils sont rentrés (dans les maisons). Ils tuaient tout ce qui bougeait (...), ils violaient les femmes qu'ils trouvaient à l'intérieur et pourtant c'étaient des policiers de l'Etat, des militaires qui devaient protéger la population", accuse Darcy. Comme beaucoup de réfugiés ayant manifesté contre le 3e mandat du président Nkurunziza, il préfère utiliser un pseudonyme de peur de représailles contre ses proches restés au Burundi.

"Nous étions terrifiés", se souvient celui qui a fui son pays environ deux semaines après cette nouvelle flambée de violences.

Le Burundi est plongé dans une grave crise depuis l'annonce en avril 2015 de la candidature de M. Nkurunziza à un troisième mandat controversé et son élection en juillet de la même année. Les violences ont fait plus de 500 morts et poussé plus de 300.000 personnes à quitter le pays, dont 83.000 au Rwanda voisin.

L'opposition estime que la Constitution et les accords d'Arusha, qui ont mis fin à la guerre civile (300.000 morts entre 1993 et 2006), n'autorisaient pas le président Nkurunziza à briguer un 3e mandat. Elle est accusée par le gouvernement d'être derrière une tentative de putsch en mai 2015 et les violences actuelles.

Un rapport de l'ONU publié le 20 septembre accuse le gouvernement burundais d'être responsable de graves violations des droits de l'homme et a mis en garde contre de possibles "crimes contre l'humanité" et un "grand danger de génocide".

A l'intérieur de la bâtisse de brique de l'église Régina Pacis de Kigali, des réfugiés, bougie allumée dans la main, chantent et prient en kirundi, la langue locale au Burundi.

Cauchemar

Au pupitre devant l'autel, la voix entrecoupée de sanglots, Carmel raconte comment son frère a été tué pendant la répression, devant un public visiblement ému.

"Lorsque tu vois quelqu'un que tu connais et qui est mort, c'est comme un cauchemar", souffle la jeune femme de 19 ans. Carmel a quitté Bujumbura avec sa famille en octobre 2015, et dit être venue à cette messe "prier pour (son) pays".

Les récentes déclarations du facilitateur dans la crise burundaise sont aussi sur toutes les lèvres des participants à cet hommage.

Vendredi, à l'issue d'une visite de trois jours à Bujumbura pour tenter de relancer le dialogue interburundais qui n'a jamais décollé, l'ancien président tanzanien Benjamin Mkapa a jugé inutile de continuer à contester la "légitimité" de l'élection en 2015 de M. Nkurunziza, et appelé les parties à se concentrer sur la bonne tenue des élections de 2020.

Ces déclarations ont heurté le Cnared, une plate-forme qui regroupe la quasi-totalité de l'opposition burundaise en exil, qui a accusé M. Mkapa de s'être "rangé du côté de Pierre Nkurunziza".

Pour beaucoup de réfugiés, les déclarations de l'ex-président tanzanien ont éloigné encore davantage la perspective d'un retour dans leur pays. "Ça me fait vraiment de la peine, je pense que la communauté internationale, la région, a oublié le Burundi", lance avec amertume Serge Barahinduka, 52 ans, un ancien cadre de banque.

Tori, un journaliste burundais qui préfère utiliser un pseudonyme, s'attend à un nouvel afflux de réfugiés burundais. Il dit aussi craindre que face au désespoir provoqué par les propos du facilitateur, certains ne soient tentés d'"aller combattre au lieu de mourir de faim ici".

Avec AFP