Quelques avions de lignes sont bien visibles non loin du terminal mais leur nombre est dérisoire par rapport à celui des bimoteurs à hélice des agences humanitaires qui chaque jour emmènent personnels et matériel aux quatre coins du pays en guerre, souvent sur des petites pistes d'atterrissage en latérite.
Celle de Juba est au contraire en parfait état, fruit d'un travail de rénovation et d'agrandissement mené par une société chinoise, la China Harbouring Engineering Company (CHEC) dans le cadre d'un contrat de près de 160 millions de dollars en grande partie financé par un prêt chinois.
La piste est passée de 2.400 à 3.100 mètres de long, elle a été dotée d'un système d'éclairage qui devrait permettre d'accueillir des vols nocturnes dans les mois à venir. Autant de réalisations saluées par la CHEC dans un récent communiqué: "l'aéroport international de Juba devient un véritable aéroport international moderne".
Pourtant, une fois sorti de l'avion, le visiteur aperçoit côte à côte deux bâtiments en construction et un étrange ensemble de tonnelles pointues. Dans l'ordre: un terminal moderne inachevé, un second plus modeste en cours de construction et l'actuel "terminal" temporaire, ouvert aux quatre vents.
Le premier est un grand ensemble de béton et de verre aux lignes épurées, surmonté d'une succession de toits arrondis. Sa construction avait débuté en 2012: un vent d'optimisme soufflait encore sur le 193e et plus jeune pays de la planète, dont l'indépendance venait d'être célébrée en grande pompe en juin 2011.
Les avions présidentiels d'une trentaine de chefs d'Etat africains avaient alors convergé à l'aéroport ainsi que celui du secrétaire général des Nations unies Ban ki-Moon.
Les églises avaient sonné leurs cloches la veille pour célébrer l'événement, une foule en liesse avait envahi les rues de Juba, avide de tourner la page de près de 50 ans de conflit avec les gouvernements successifs de Khartoum.
Certes, il restait tout à construire mais la communauté internationale se tenait aux côtés du nouveau-né, qui héritait d'une impressionnante manne pétrolière.
Mais la guerre civile éclate en décembre 2013 entre troupes loyales au président Salva Kiir et celles de son ex-vice-président Riek Machar. Et les travaux du nouveau terminal, presque terminé, s'arrêtent.
Selon une source aéroportuaire, un différend a éclaté entre les contractants étrangers et le gouvernement sud-soudanais, au point que les premiers auraient plié bagage en emportant avec eux les plans du nouveau bâtiment.
- Effort de guerre -
Les autorités décident alors fin 2016 de construire un autre aérogare, en train de sortir de terre en lieu et place de l'ancien terminal.
Entre-temps, le conflit a fait plusieurs dizaines de milliers de morts et le pays est désormais plongé dans une crise économique profonde: la livre sud-soudanaise s'est effondrée, l'hyperinflation s'est installée, la production de brut a chuté à environ 125.000 barils par jour, une bonne partie des maigres ressources du gouvernement est consacrée à l'effort de guerre.
Et tout dans le chantier actuel transpirent les ambitions revues à la baisse: le bâtiment de plain-pied et de taille modeste semble construit à la hâte, avec des matériaux de moins bonne qualité, et le chantier n'échappe pas à des retards de paiement selon la source aéroportuaire.
En attendant la livraison du projet officiellement prévue en juillet, c'est un assemblage de tonnelles collées les unes aux autres, soutenues par des poutrelle métalliques, qui abritent la "salle d'attente", l'immigration et le service des bagages de l'aéroport.
Le plancher, du contreplaqué posé sur de gros parpaings de béton, commence à donner des signes de fatigue et se troue comme du gruyère. Quant aux banquettes métalliques de la "salle d'attente", certaines ont perdu leurs pieds de devant, d'autres n'en ont plus du tout et sont posées à même le sol. L'attente se fait debout pour de nombreux voyageurs.
Entassés dans un Algeco, les officiers d'immigration font preuve d'une efficacité redoutable, tout comme les jeunes bagagistes dépenaillés qui, une fois les sacs et valises passées par le scanner, s'en emparent pour les porter jusqu'au parking, dans l'espoir d'un petit billet.
Un travailleur humanitaire étranger confie : "il va falloir qu'on briefe les nouveaux sur l'aéroport: quand on connaît pas, ça peut surprendre".
A la sortie de l'aéroport, un feu tricolore gris anthracite au design ambitieux, alimenté par un panneau solaire intégré, illustre à son tour les projets déçus de développement du pays. Cent mètres plus loin, le regard est attiré vers la droite par les tentes bleues d'un petit camp de déplacés installé dans un terrain vague.
Avec AFP