L'attentat en Somalie met en lumière la fragilité du gouvernement

Les forces somaliennes cherchent des corps sous les bâtiments à Mogadiscio, Somalie, le 15 octobre 2017.

L'attentat au camion piégé du 14 octobre à Mogadiscio, le plus meurtrier de l'histoire de la Somalie avec au moins 358 morts, a mis en relief la fragilité du gouvernement fédéral somalien, estiment les analystes.

Désorganisation et corruption rampante au sein des forces de sécurité, défiance entre le pouvoir central et les États fédérés: cet attentat montre la capacité des insurgés islamistes shebab à profiter des failles du gouvernement de Mogadiscio dans la guerre asymétrique qu'il leur mène.

Les shebab ont-ils gagné en puissance?

Sur le front militaire, la situation n'a pas vraiment changé ces derniers mois. Les shebab, qui depuis 2007 ont juré la perte du gouvernement, contrôlent de larges régions rurales du centre et du sud de la Somalie.

Mais comme le souligne Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales de l'institut parisien Sciences Po, "il n'y a pas eu récemment de gains stratégiques" de part et d'autre, et "les Américains travaillent", mettant sous pression combattants et dirigeants de l'organisation affiliée à Al-Qaïda.

"Ce que l'on voit, en surface tout au moins, c'est de la stagnation", abonde Matt Bryden, fondateur du centre de réflexion Sahan installé à Nairobi, qui relève que les shebab ont prouvé leur capacité à renouveler leurs cadres tués dans des frappes aériennes.

Toutefois, souligne le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié vendredi, les shebab ont récemment pris le contrôle de plusieurs zones à l'extérieur de Mogadiscio, notamment la localité de Barire à 45 km, située sur un axe routier stratégique: "Prévenir des attaques à Mogadiscio s'avère d'autant plus difficile lorsque des districts autour de Mogadiscio retombent dans l'escarcelle des shebab".

Faiblesse des forces de sécurité

Les shebab, s'appuyant sur un service de renseignements performant, exploitent régulièrement les failles de l'appareil sécuritaire de Mogadiscio.

Ainsi, les récents gains territoriaux autour de la capitale ont été réalisés parce que les forces somaliennes venaient de se retirer de ces zones, sur fond de grogne de soldats non payés depuis trois mois, relève l'ICG.

De même, les shebab "été capables (par le passé) d'infiltrer les forces de sécurité ou de se mouvoir avec des uniformes des forces de sécurité" pour déjouer les check-points, relève M. Bryden.

Symptomatique, quelques jours avant l'attentat, le chef de l'armée et le ministre de la Défense ont démissionné, sans explication.

Selon M. Marchal, leur départ serait notamment lié à des luttes d'influence pour le contrôle des recrues censées composer l'armée nationale au sein du plus grand centre de formation militaire étranger de Somalie, inauguré fin septembre par la Turquie.

En tout état de cause, le départ simultané des deux plus hauts responsables militaires du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit "Farmajo", élu en février en promettant la guerre aux shebab, fait désordre et ne suscite guère l'optimisme.

Et, souligne M. Marchal, la plupart des membres du gouvernement sont des gens "issus de la diaspora (...) qui n'ont aucune idée du traumatisme de leur société".

"Ce n'est pas que les shebab soient très forts, c'est que les autres ne sont vraiment pas bons", tempête le chercheur.

La défiance entre États fédérés et gouvernement central

Inscrit dans la Constitution depuis 2004, le fédéralisme n'a commencé réellement à se mettre en place, à pas comptés, qu'à partir de 2012.

Actuellement, le pays compte cinq États fédérés, sans parler du Somaliland qui a proclamé son indépendance et ne reconnaît pas le gouvernement central.

Or les relations sont conflictuelles entre le gouvernement du président "Farmajo", lui-même partisan d'un État central fort, et les pouvoirs régionaux, sur fond de lutte de personnes et d'interférences extérieures.

L'enjeu est de taille car, si l'embryon d'armée nationale n'est déployé que sur Mogadiscio et ses environs, et si la force de l'Union africaine en Somalie sécurise avec ses 22.000 hommes les principaux centres urbains, ce sont les milices et forces de sécurité de ces États qui sont en première ligne contre les shebab en province.

Récemment, la crise diplomatique entre les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite d'une part, le Qatar de l'autre, "a aggravé les frictions" en Somalie, relève l'ICG.

Plusieurs États fédérés se sont prononcés pour un alignement avec Riyad et Abu Dhabi, au grand dam du gouvernement central qui a opté pour la neutralité, Mogadiscio recevant d'importants financements des deux camps.

Et Roland Marchal de se désoler du "chaos introduit par la crise du Golfe où n'importe quel président fédéral, sous prétexte de recevoir des subsides, fait des déclarations intempestives sur la politique étrangère" de la Somalie.

Et maintenant?

"Tant que le gouvernement ne changera pas son attitude et ne se rapprochera pas des États fédérés pour qu'ils deviennent des partenaires dans la lutte contre les shebab, au lieu d'essayer de se battre contre les shebab et les États fédérés, je ne pense pas qu'on va voir beaucoup de progrès", estime M. Bryden.

L'ICG note que les opposants au président "Farmajo" pourraient tirer profit de la crise pour le faire tomber, via une motion de censure, et appelle ce dernier à "rapidement travailler à améliorer les relations avec les États fédérés" et régler les problèmes de répartition des ressources qui nourrissent les querelles. Dont les seuls gagnants sont les shebab.

Avec AFP