Ces émeutes circonscrites, accompagnées de pillages, ont éclaté à l'annonce vendredi soir de la réélection du président sortant Uhuru Kenyatta que la coalition d'opposition de M. Odinga conteste, arguant de fraudes massives.
Les enjeux sont de taille pour l'économie la plus dynamique de la région qui, élection après élection, se retrouve confrontée aux divisions marquées de son personnel politique, dont le logiciel demeure la constitution d'alliances essentiellement sur des bases ethniques.
- Pourquoi le pays est-il anxieux ?
Essentiellement parce que les violences et la contestation du résultat ont un air de déjà-vu.
En 2007, les observateurs internationaux avaient jugé le scrutin entaché de graves irrégularités et Raila Odinga estimé que la victoire lui avait été volée. Le pays avait alors plongé pendant deux mois dans des violences meurtrières et une brutale répression policière, faisant au moins 1.100 morts et 600.000 déplacés.
Les incidents les plus meurtriers, dans la vallée du Rift, avaient opposé Kikuyu, l'ethnie de M. Kenyatta, aux Kalenjin, dont le leader politique est l'actuel vice-président William Ruto. Rivaux en 2007, les deux hommes ont conclu une alliance pour l'élection de 2013, reconduite pour 2017.
En 2013, M. Odinga avait porté ses accusations de fraude devant la Cour suprême, qui lui avait donné tort.
- Quels sont les griefs de l'opposition ?
La coalition d'opposition a multiplié depuis mercredi les accusations de fraude, évoquant un piratage informatique, des bureaux de vote illégaux et assurant qu'un nombre important de procès-verbaux de bureaux de vote n'ont pas été correctement reçus.
L'opposition assure être en possession de documents de la commission électorale (IEBC) montrant que Raila Odinga est le vainqueur, et lui reproche de ne pas avoir pris le temps de vérifier les irrégularités qu'elle dit avoir décelé.
Vendredi, avant la proclamation du scrutin, l'opposition s'était dire prête à accepter les résultats si elle pouvait les corroborer elle-même en inspectant les serveurs informatiques de l'IEBC, qui n'a pas donné suite à cette requête.
L'opposition exclut toutefois de saisir la justice. Quant à Raila Odinga, il ne s'est pas exprimé depuis l'annonce des résultats.
- Comment les Kényans réagissent ?
Les scènes qui ont suivi l'annonce des résultats ont illustré les profondes divisions sociales, géographiques et ethniques qui traversent ce pays de quelque 48 millions d'habitants.
Dans les bastions du parti au pouvoir, dans la vallée du Rift et dans certaines zones de Nairobi, des milliers de personnes ont célébré la victoire de leur favori, issu de l'élite économique kikuyu ayant donné au Kenya trois de ses quatre présidents.
Mais dans les fiefs de Raila Odinga, un Luo, cette nouvelle défaite a sans nul doute renforcé le sentiment d'avoir été déclassé, discriminé et laissé pour compte depuis l'indépendance en 1963.
Dans le sud-ouest du pays à Kisumu et Siaya, ainsi que dans les bidonvilles de la capitale, des émeutes ont éclaté depuis vendredi soir. La police a répondu par des gaz lacrymogènes, procédé à de nombreuses charges et fait usage de leurs fusils automatiques.
Dans le bidonville de Kibera, des partisans de M. Odinga ont attaqué et pillé des commerces qu'ils pensaient appartenir à des sympathisants du parti au pouvoir, selon un photographe de l'AFP.
Depuis mercredi, au moins neuf personnes ont été tuées dans plusieurs incidents liés aux élections, dont un enfant de neuf ans dans le bidonville de Mathare.
Nairobi, habituellement vibrante et embouteillée, offre le spectacle d'une ville morte. Kisumu également. Ailleurs, comme à Mombasa sur la côte, l'activité tourne au ralenti mais les transports en commun ont repris timidement leurs opérations.
- Où va le Kenya ?
Le pays le plus prospère d'Afrique de l'Est a aligné des taux de croissance de plus de 5% ces quatre dernières années et montré sa volonté de devenir un acteur continental incontournable, même s'il a échoué à prendre la tête de l'exécutif de l'Union africaine en janvier.
L'économie kényane devrait toutefois ralentir pour les 12 mois à venir, et la hausse des prix des denrées alimentaires, un des enjeux de cette campagne, ne sera pas résorbée facilement, estiment les observateurs.
Dans ce contexte, les défis qui attendent M. Kenyatta pour son second mandat seraient grandement compliqués si les contestations gagnaient en magnitude, notamment si elles affectent le secteur clé du tourisme.
Selon Nic Cheeseman, professeur de politique africaine à l'université de Birmingham: "De toute évidence, tout ce qui se passe (actuellement) est une mauvaise nouvelle pour le pays".
Avec AFP