L'élection kényane monte les voisins les uns contre les autres

Des manifestants lancent des pierres contre les forces de l’ordre à Kibera, Nairobi, Kenya, 12 août 2017.

"C'était la chambre", se lamente Steven Chege en pointant du doigt un amas de fer calciné et de bois brûlé. "Et ça c'était l'autre pièce", dit-il en montrant une chaîne hifi fondue et une télévision fracassée au milieu des cendres encore chaudes.

"L'intention, c'était de nous brûler vivants dans nos maisons", affirme cet homme âgé de 32 ans. Sa maison en ruines est surplombée par les restes carbonisés d'un grand panneau d'affichage, au carrefour Congo dans le bidonville de Kawangware, à Nairobi.

Une dizaine de commerces et maisons ont été brûlés dans ce bidonville, quand des membres de communautés rivales ont commencé à s'en prendre les uns aux autres vendredi soir, dans des rues habituellement très fréquentées.

Les violences qui ont marqué le processus électoral kényan ont surtout opposé des partisans de l'opposition, armés de pierres, aux policiers, qui ont eu recours aux gaz lacrymogènes, canons à eau et parfois aux balles réelles.

Au moins 49 personnes au total ont été tuées depuis le scrutin présidentiel du 8 août, annulé par la justice. La plupart étaient des partisans de l'opposition, vivant dans les bidonvilles de Kawangware, Kibera et Mathare, à Nairobi, ou des villes de l'ouest, des fiefs du principal opposant Raila Odinga.

Mais à Kawangware vendredi, au lendemain d'un nouveau scrutin présidentiel boycotté par l'opposition, les bagarres routinières entre manifestants et policiers ont pris une tout autre tournure.

Des dizaines d'hommes, apparemment membres de l'ethnie kikuyu, celle du président Uhuru Kenyatta, se sont confrontés à des Luo, Luhya et Kisii partisans de la coalition d'opposition Nasa.

Dans les deux camps, machettes, couteaux, bâtons et pierres étaient de sortie. La police a reconnu avoir tué un homme en intervenant pour disperser les deux groupes. Mais les habitants du quartier affirment que d'autres ont été tués dans ces heurts.

- 'Il s'agit de tribalisme' -

Les causes de cette éruption de violences sont contestées, les deux camps se blâmant mutuellement. Mais tout le monde reconnaît qu'elles sont sous-tendues par une logique ethnique.

"Nous avons été ciblés parce que c'est une zone kikuyu", indique Geoffrey Mbithi, un hôtelier de 42 ans, dont la modeste pension de trois pièces n'est plus qu'un monceau de tôles fumantes. "Il s'agit de tribalisme".

Ces scènes, même si elles étaient très localisées et n'ont duré que quelques heures, rappellent les violences politico-ethniques de 2007-2008, qui avaient fait au moins 1.100 morts et 600.000 déplacés.

"J'étais dans ma maison quand j'ai entendu les gens dire: +Feu! Feu! Feu!", raconte Rose Kiema, une couturière de 50 ans qui vit et travaille à Congo depuis les années 1980.

Elle s'est enfuie et n'est revenue que samedi matin pour trouver ses machines à coudre carbonisées. Aux alentours, traînent trois poulets et une chèvre attachée, qui ont brûlé dans le brasier, des choux roussis sur un étal, et des chaussures noircies dans le magasin du cordonnier.

Rose et ses voisins accusent de jeunes partisans de Nasa d'être derrière l'incendie, et un homme politique local de les y avoir incités.

"On nous a ciblé parce qu'on ne soutient pas Nasa", déclare Josphat Gatimu, 62 ans, qui tient une petite laverie, dont toutes les machines ont brûlé et sont irréparables. "Nous avons voté, c'est la seule raison pour laquelle ça nous arrive".

- Pures représailles -

Quelques centaines de mètres plus loin, des jeunes discutent dans la rue. Aucun n'éprouve de sympathie pour les commerçants de Congo, ni ne dément avoir joué un rôle dans l'incendie, qui n'était pour eux que pures représailles.

"Cet endroit, c'est un bastion de Nasa", lance un homme, âgé de 20 ans, qui ne souhaite pas donner son nom. "Ce qui se passe ici c'est que le gouvernement essaie de forcer de mauvaises gens d'une autre communauté, ces Mungiki, à venir et à nous intimider."

Les Mungiki sont un redouté gang criminel kikuyu qui fut actif dans les violences politico-ethniques de 2007-2008 et connu alors pour se prêter au racket et pour violemment défendre les intérêts commerciaux de leur ethnie.

Le président Kenyatta a été accusé par la Cour pénale internationale (CPI) d'avoir recouru à leurs services en 2007-2008. Il a toujours nié cette accusation et les poursuites à son encontre ont ensuite été abandonnées.

Le terme Mungiki est désormais appliqué de manière large à des groupes de Kikuyu armés, comme ceux qui ont surgi vendredi à Kawangware.

"Si les Mungiki viennent, même s'ils sont des milliers et des milliers, nous nous défendrons, nous les combattrons", promet le même homme, membre de l'ethnie luhya.

"S'ils n'envoient pas de policiers ou de Mungiki dans ce fief, alors nous sommes en paix, comme vous le voyez", ajoute-t-il, debout à un carrefour devant une autre propriété brûlée appartenant, selon ce groupe, à un Kikuyu.

Avec AFP