L'ex-président nigérian Jonathan cité par des juges italiens dans un vaste scandale de corruption

L'ancien dirigeant nigérians Goodluck Jonathan salue la foule à Abuja, Nigeria, le 29 mai 2015.

Des procureurs italiens enquêtent sur un scandale impliquant l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan et sa ministre du pétrole, soupçonnés d'avoir reçu des pots-de-vin pour conclure un contrat de 1,3 milliard de dollars avec les géants pétroliers ENI et Shell.

Selon des documents judiciaires consultés par l'AFP, le parquet de Milan mène actuellement une enquête préliminaire visant 11 personnes, y compris les dirigeants des deux majors pétrolières et les entreprises elles-mêmes.

M. Jonathan a réagi mardi, affirmant qu'il n'avait pas été "accusé, mis en examen ni jugé pour avoir perçu de l'argent de manière corrompue" dans le cadre de cette affaire.

Goodluck Jonathan, qui a quitté ses fonctions en mai 2015, et Diezani Alison-Madueke, son ancienne ministre du pétrole qui fut la première femme à présider l'OPEP, ne figurent pas sur la liste des 11.

Toutefois, ils auraient joué un rôle central dans l'affaire qui a permis à ENI et Shell de remporter l'attribution d'un bloc pétrolier offshore au Nigeria pour 1,3 milliard de dollars en 2011.

Aucune accusation formelle n'a encore été formulée et les parties disposent généralement de 20 jours pour répondre à la conclusion du rapport d'enquête préliminaire avant toute poursuite judiciaire.

Le directeur général d'ENI, Claudio Descalzi et son prédécesseur, Paolo Scaroni, ont rencontré Jonathan "en personne" pour discuter de la transaction, impliquant aussi d'anciens agents du renseignement britanniques qui travaillaient comme conseillers pour Shell, selon le p parquet italien.

Les procureurs soupçonnent les dirigeants d'ENI et Shell d'avoir pour cela collaboré avec l'homme d'affaires nigérian Dan Etete, qui fut ministre du pétrole sous le régime militaire de Sani Abacha de 1995 à 1998.

Malabu, une société appartenant à Dan Etete, était la "frauduleusement détentrice" du bloc OPL 245, selon les documents judiciaires.

Après des pourparlers à Milan et à Abuja, le bloc aurait été acheté illégalement par les majors pétrolières, "sans appel d'offres" et avec "une exonération totale et inconditionnelle de toutes les taxes nationales", poursuivent les procureurs.

Un total de 801,5 millions de dollars (759 millions d'euros) aurait été transféré sur les comptes de la société Malabu, dont 466 millions convertis en espèces au Nigeria, et utilisés pour rémunérer des fonctionnaires du gouvernement, dont Jonathan et Alison-Madueke, toujours selon le parquet italien.

Un autre montant de 54 millions de dollars (51 millions d'euros) aurait été retiré par un homme, Abubakar Aliyu, qualifié dans le document d'"agent" mandaté par Jonathan.

Les procureurs estiment par ailleurs que les destinataires de l'argent s'en sont servi pour des dépenses somptuaires: "biens immobiliers, avions, véhicules blindés"...

'Aucun bien à l'étranger'

"À aucun moment, l'ancien président n'a tenu de réunions privées avec des représentants de l'ENI pour discuter des questions pécuniaires", ni envoyé d'intermédiaire pour collecter de l'argent "en son nom", a déclaré dans un communiqué son porte-parole, Ikechukwu Eze.

M. Jonathan "ne possède aucun compte bancaire, avion ou bien immobilier en dehors du Nigeria", a-t-il ajouté.

ENI et Royal Dutch Shell ont également nié toute responsabilité dans cette affaire.

"Nous savons qu'une enquête est en cours et nous espérons montrer au procureur qu'il n'y a aucune base légale pour poursuivre en justice Shell", a affirmé la compagnie anglo-néerlandaise dans un courriel.

"Shell prend cette affaire au sérieux et coopère avec les autorités".

L'agence anticorruption du Nigeria, la Commission pour les crimes économiques et financiers (EFCC), a porté fin décembre des accusations dans la même affaire, a déclaré à l'AFP son porte-parole, Wilson Uwujaren, sans donner de détails.

L'ex-ministre Alison-Madueke avait par ailleurs déjà été arrêtée en 2015 par l'Agence britannique contre la criminalité organisée (National Crime Agency) pour corruption et blanchiment d'argent, ce qu'elle a toujours nié.

GoodLuck Jonathan n'a cessé d'affirmer que son gouvernement n'était pas corrompu, et contesté les affirmation de son successeur Muhammadu Buhari selon lesquelles il avait hérité de caisses "pratiquement vides".

Buhari a obtenu une victoire inédite pour un leader de l'opposition dans l'histoire du Nigeria, en battant Jonathan à la présidentielle de mars 2015.

Il a notamment été élu sur la promesse de combattre la corruption endémique, affirmant des sommes d'argent public "faramineuses" avaient été volées.

Depuis le début de son mandat, les autorités ont procédé à une vague d'arrestations de hauts fonctionnaires de l'administration Jonathan pour corruption, mais peu ont jusque-là été condamnés.

Avec AFP