L'ex-président gambien accusé d'avoir fait assassiner le doyen des journalistes

Yahya Jammeh, ex-président de la Gambie.

Un militaire gambien a accusé lundi, devant la Commission vérité et réconciliation (TRRC), l'ancien président Yahya Jammeh d'avoir ordonné l'assassinat il y a 15 ans de Deyda Hydara, qui était le correspondant de l'AFP, et reconnu avoir directement participé à son assassinat.

Ce journaliste critique envers le régime de Yahya Jammeh a été tué par balle le 16 décembre 2004 à Banjul au moment où il raccompagnait en voiture deux collaboratrices de son journal, qui ont été blessées.

Agé de 58 ans, père de quatre enfants, cofondateur du journal privé The Point, il était aussi le correspondant de l'Agence France-Presse (AFP) depuis 30 ans et de Reporters sans frontières (RSF) en Gambie, où il était considéré comme le doyen de la profession.

"Nous avons tiré, moi, Alieu Jeng et Sanna Manjang", a affirmé devant la TRRC le lieutenant Malick Jatta, en détention depuis le 8 février 2017. Alieu Jeng, un autre militaire, est également en détention.

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Sanna Manjang est un déserteur de l'armée. En mai 2017, il a été inculpé, ainsi que Kawsu Camara, un ancien colonel de l'armée, de "meurtre et complot en vue de commettre un meurtre" dans l'enquête sur l'assassinat de Deyda Hydara.

Ces deux hommes, en fuite, passent en Gambie pour avoir été membres des "Jungulars" (ou "Junglers"), considérés comme les escadrons de la mort du régime de Yahya Jammeh.

Enveloppes de dollars

Le lendemain de l'opération contre le journaliste, le commandant du groupe, le capitaine Tumbul Tamba, leur a remis une "enveloppe contenant des dollars", a témoigné Malick Jatta. "Il nous a dit qu'il s'agissait d'un +geste d'appréciation de la part du grand homme+".

Interrogé par la Commission sur le nom de ce "grand homme", le militaire a affirmé qu'il s'agissait du "président", arrivé au pouvoir par un putsch sans effusion de sang en juillet 1994 dans ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest.

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Le capitaine Tumbul Tamba "a parlé au président pendant l'opération", il lui disait "Oui Monsieur, votre excellence", a affirmé le lieutenant. En outre, "Tumbul n'avait pas d'autres moyens de se procurer des dollars".

Selon son récit, leur chef leur a expliqué qu'ils étaient à poursuite du "stylo magique" et, une fois à hauteur de son véhicule, il leur a ordonné de tirer sur le chauffeur.

Instituée par une loi en décembre 2017 et composée de 11 membres, la TRRC, qui enquête sur les crimes présumés commis pendant les 22 ans du régime de M. Jammeh, en exil en Guinée Equatoriale, a entamé ses auditions en janvier 2019.

Un ministre de Yahya Jammeh, Yankuba Touray, soupçonné d'implication dans l'assassinat d'un ministre et de soldats au cours d'une tentative de coup d'Etat dans les années 1990, a été arrêté le 26 juin pendant son audition par la TRRC pour avoir refusé de répondre à ses questions.

Tortures systématiques

Les défenseurs des droits de l'Homme accusent le régime de Yahya Jammeh de tortures systématiques d'opposants et de journalistes, d'exécutions extra-judiciaires, de détentions arbitraires et de disparitions forcées.

L'ancien président a été accusé fin juin par trois Gambiennes, dont une ancienne reine de beauté, de les avoir contraintes à des relations sexuelles en usant de pressions morales, financières ou physiques lorsqu'il était au pouvoir.

Yahya Jammeh s'était fait élire une première fois en 1996 puis réélire sans interruption jusqu'à sa défaite en décembre 2016 face à l'opposant Adama Barrow.

Après six semaines d'une crise à rebondissements provoquée par son refus de céder le pouvoir, il a finalement dû quitter son pays le 21 janvier 2017 à la suite de l'intervention militaire d'une force régionale majoritairement composée de troupes du Sénégal voisin et d'une ultime médiation guinéo-mauritanienne.

En 2017, des ONG et des associations de victimes, dont la fille de Solo Sandeng, un opposant mort en détention en avril 2016, et le fils de Deyda Hydara, ont lancé la campagne internationale "Jammeh2Justice" pour traduire en justice l'ex-président.

Interrogé début 2018 sur une éventuelle demande d'extradition de Yahya Jammeh, Adama Barrow a répondu qu'il attendrait la fin des travaux de la TRRC pour se prononcer.