Le 7 novembre, pour le premier tour de la présidentielle à Madagascar, cette mère de famille de 35 ans ne se rendra pas aux urnes. Aucun candidat, parmi les 36 en lice, ne trouve grâce à ses yeux.
"Les candidats se disputent le pouvoir pour eux, pas pour le bien du pays", affirme-t-elle, un grand sac de riz sur l'épaule, alors qu'elle fouille, avec ses trois jeunes enfants, les détritus jonchés le long d'une voie ferrée.
Claudine nettoie ensuite son maigre butin - une vingtaine de bouteilles - dans un canal d'eaux usées. Elle le revend pour 1.000 ariary (0,25 euro), de quoi acheter 400 grammes de riz pour nourrir sa famille qui dort dehors, au milieu des rats.
Lire aussi : Amnesty dénonce le décès de 52 détenus en préventive à MadagascarAvec un taux d'extrême pauvreté de 76,2%, Madagascar pointe parmi les Etats les plus pauvres au monde selon la Banque mondiale.
Il est le seul pays à s'être appauvri depuis son indépendance en 1960 sans avoir connu la guerre, relève le chercheur François Roubaud, co-auteur du livre "L'Enigme et le paradoxe. Economie politique de Madagascar".
La campagne présidentielle bat son plein, mais rares sont les candidats, comme Paul Rabary, un ancien ministre, à aller à la rencontre des électeurs dans les bas-fonds de la capitale.
"Votez pour le changement et je vous promets un avenir meilleur", assure-t-il aux passants.
Des présidents 'vautours'
"On apprécie les candidats qui viennent à nous comme ça, mais ce qu'on attend d'eux en priorité c'est qu'ils augmentent les salaires une fois au pouvoir", explique Jean Fabrice Rakotonihaina, éboueur de 19 ans employé par la municipalité d'Antananarivo.
"Si les politiques faisaient bien leur travail, je ne serais pas réduit à ramasser des ordures et je pourrais continuer mes études pour un avenir meilleur".
"Aujourd'hui, faute de moyens, les jeunes filles ne vont plus à l'école et tombent enceintes très jeunes, à 12, 13 ou 15 ans", poursuit un autre électeur, Bruneau Rakotomanga, agent de sécurité de 43 ans.
"La majorité du corps électoral est pauvre et ce sont ces pauvres qui vont permettre à ces politiques d'accéder au pouvoir, mais une fois président, ces grands vautours oublient ceux qui les ont aidés à atteindre leur objectif", rage-t-il.
Lire aussi : Madagascar se qualifie pour la première CAN de son histoireCette année, trois anciens présidents - Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina et Hery Rajaonarimampianina - se présentent à la présidentielle où ils figurent parmi les favoris. En campagne, ils se déplacent en hélicoptère.
Paul Rabary a choisi lui d'aller à la rencontre des électeurs à pied ou en moto.
Après trois heures de porte-à-porte dans le quartier miséreux de Manjakaray d'Antananarivo, où il a été accueilli par des "Donnez-nous" - des tee-shirts, des casquettes... -, Paul Rabary ne cache pas son abattement.
"Ça me fait mal car on est arrivé à un point où on a réduit la population à l'aumône, juste pour des tee-shirts, des foulards, des casquettes. C'est inhumain".
Des ordures pour gagne-pain
Pour le candidat à la présidentielle Zafimahaleo Rasolofondrasolo, plus connu sous son nom d'artiste Dama, "la pauvreté à Madagascar est le résultat d'un système de gouvernance concentré entre les mains d'une minorité à la tête du pays".
Sur la légendaire place du 13-Mai à Antananarivo, une centaine de familles démunies sont réunies pour faire entendre leurs voix à l'occasion de la journée mondiale de la lutte contre la pauvreté, le 17 octobre.
D'avril à juin, la place fut l'épicentre de la contestation contre le pouvoir accusé de vouloir faire taire ses rivaux. Mais ce 17 octobre, les responsables politiques l'ont désertée et les familles semblent parler dans le vide.
Lire aussi : Le cardinal de Madagascar annonce la venue du pape en 2019"S'il vous plaît, sauvez notre maison, sauvez notre gagne-pain, on ne sait plus où aller une fois que notre maison sera démolie", implore au micro Justine Hanitrarivo, dont le logement situé à côté d'une décharge, sur le tracé d'une autoroute, doit prochainement être démoli.
"Nous n'avons pas de diplôme pour trouver du travail digne de ce nom. Ce sont les ordures qui nous maintiennent en vie depuis seize ans", explique la mère de famille de 43 ans à l'AFP.
"Si l'Etat nous demande de partir aujourd'hui, est-ce qu'il peut nous placer dans un autre dépotoir pour notre salut ?", supplie-t-elle.
Avec AFP