L'humour comme exutoire dans une Afrique du Sud meurtrie par le racisme

L’ancien lauréat du prix Nobel, Desmond Tutu, avant-plan, et l'ancien président sud-africain FW de Klerk, arrière-plan, regardent des statues faites à leur visage lors d'une cérémonie de dévoilement au Cap, Afrique du Sud, 16 décembre 2005.

Plus de 20 ans après la fin officielle de l'apartheid, la question raciale reste un sujet extrêmement sensible en Afrique du Sud, mais des humoristes s'emparent de ce sujet tabou, offrant un exutoire à un public multiethnique.

"Ce n'était pas drôle, l'apartheid, mais les blagues sur le sujet sont hilarantes", s'enthousiasme Mahlatse Botopela, pétillante manager de 24 ans.

En rire participe "à la guérison", remarquait-elle lors du premier festival international d'humour africain, fin novembre à Krugersdorp près de Johannesburg.

Son amie blanche, Elizma Hatlen, 26 ans, acquiesce: "Ça nous aide à nous comprendre et à nous accepter mutuellement".

L'humoriste sud-africain le plus connu, Trevor Noah, fait figure de pionnier en la matière. Ses origines multiculturelles le prédisposaient peut-être à s'emparer du sujet: sa mère est une Sud-Africaine noire, son père de nationalité suisse et blanc de peau.

"J'ai grandi en Afrique du Sud pendant une période appelée l'apartheid. (...) Ma mère a été arrêtée parce qu'elle était avec mon père. Elle a été verbalisée, envoyée en prison le temps d'un week-end, mais est revenue en disant: +Ouhhhh. Je m'en fous, personne ne peut me dire qui aimer. J'aime l'Homme blanc (...) Et mon père ? Vous savez combien les Suisses aiment le chocolat !"

Ce métis âgé de 31 ans a désormais acquis une stature internationale: il anime depuis septembre l'émission humoristique la plus renommée aux Etats-Unis, "The Daily Show".

Dans la lignée de Trevor Noah, de nombreux humoristes sud-africains, Noirs et Blancs, souvent jeunes, ne cessent de repousser les frontières de l'humour dans un pays meurtri par des siècles d'oppression exercée par la minorité blanche.

Sifiso Nene, comique zoulou de 34 ans, se moque tout autant des Noirs que des Blancs: "C'est dur d'être Noir en Afrique du Sud parce qu'il faut un village tout entier pour élever un enfant, alors que chez les Blancs, il suffit de Mavis (la domestique noire) !"

Une référence à sa propre enfance: "Ma mère était domestique et élevait les enfants des Blancs, pendant que le village s'occupait de moi", confie-t-il à l'AFP.

Oubliez les rhinos : sauvez les Blancs !

Daniel Friedman tourne, lui, en dérision les peurs de ses compatriotes blancs, tétanisés à l'idée que les Noirs prennent leur revanche après la disparition en 2013 du premier président démocratiquement élu Nelson Mandela, défenseur acharné du concept de "nation arc-en-ciel".

"Oubliez les rhinocéros, il faut sauver les Blancs !", chante Deep Fried Man - son nom de scène - avec sa guitare acoustique. Le public blanc, noir et métis hurle de rire.

"Parler des races reste un peu tabou, mais c'est de loin notre sujet le plus populaire", explique-t-il à l'AFP, après son one-man show à Johannesburg.

Grâce à une Constitution très progressiste adoptée en 1996, deux ans après la fin officielle de décennies de régime ségrégationniste, les humoristes sud-africains jouissent d'une grande liberté d'expression.

L'industrie du rire est en "pleine croissance" en Afrique du Sud, constate Evert van der Veer, producteur à Comedy Central Africa, chaîne de télévision consacrée à l'humour. On compte plusieurs centaines d'artistes, contre une petite dizaine pendant l'apartheid, renchérit l'humoriste John Vlismas.

"L'humour puise son origine dans la douleur. Les gens ont besoin d'un exutoire", estime un agent artistique, Takunda Bimha.

Pour le célèbre humoriste Kagiso Lediga, même si les Africains sont encore "très conservateurs" sur le plan culturel, ils apprennent maintenant à rire à leurs dépens, à se moquer de leur souffrance et de leur gouvernement. "Après tout", affirme-t-il, "nous n'avons pas de raisons d'être déprimés".

Avec AFP