L'offensive sur Raqa, "capitale" djihadiste en Syrie, s'annonce encore plus complexe qu'en Irak

Un djihadiste du groupe Etat islamique à Raqa, le 3 janvier 2016.

L'offensive pour reprendre Raqa au groupe Etat islamique commencera "dans les prochaines semaines", ont assuré mercredi le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter et son homologue britannique Michael Fallon.

"C'est notre plan depuis longtemps, et nous sommes capables de soutenir" à la fois les offensives sur Mossoul et sur Raqa, a insisté M. Carter.

Jusqu'à présent, les responsables de la coalition internationale anti EI s'étaient gardés de donner des indications de calendrier pour le volet syrien des opérations contre les djihadistes. Mais, arguant du "progrès considérable" dans l'offensive en cours en Irak, les chefs militaires évoquent désormais "une concomittance" ou un "chevauchement" des opérations sur Mossoul et Raqa.

Pour autant, sous couvert de l'anonymat, les déclarations sont moins affirmatives et le flou reste entretenu.

"Il serait difficile pour la coalition aujourd'hui de synchroniser, organiser" les mouvements entre les deux batailles, et de répartir efficacement ses moyens aériens, reconnaît un haut responsable militaire américain.

"Clairement, tout n'est pas prêt pour prendre Raqa demain", juge une source française, admettant que dans la lutte contre les jihadistes de l'EI, "l'aspect syrien est beaucoup plus complexe".

Chaos syrien

Comme le résumait récemment le quotidien libanais L'Orient le Jour, "comparé au chaos syrien, le casse-tête irakien ressemblerait presque à un jeu d'enfant".

L'offensive sur Mossoul, tombée en juin 2014 aux mains des jihadistes, a été discutée, préparée pendant plus d'un an, entre la coalition, Bagdad et les autorités du Kurdistan irakien. Elle est menée par les forces irakiennes et les peshmergas kurdes, appuyés par la coalition.

Cette opération, qui pour le moment se "déroule conformément" aux plans de la coalition, est déjà extrêmement complexe et porte en germe de potentielles complications: le rôle des milices chiites, extrêmement puissantes en Irak, et celui de la Turquie, qui réclame un droit de regard sur Mossoul, ville à majorité sunnite, posent déjà problème.

Comment et avec qui mener une offensive en Syrie, pays ravagé par une guerre civile qui a fait plus de 300.000 morts depuis 2011, morcelé par des myriades de groupes antagonistes soutenus directement ou indirectement par des puissances régionales et internationales ?

"Il y a une différence de nature entre l'Irak et la Syrie. Déjà, en Irak, nous intervenons à l'invitation des autorités de Bagdad", rappelle la source française. Les pays engagés dans la coalition internationale anti-EI sont par contre opposés au régime syrien de Bachar al-Assad et veulent éviter de mener des opérations qui pourraient lui être favorable.

Qui pour mener la bataille de Raqa ? Quelles forces disponibles ?

"Comme pour Mossoul, le principe stratégique est que ce doit être des forces locales efficaces et motivées", a déjà précisé le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter.

"Il faut que ce soit une force arabe qui reprenne Raqa", précise le haut responsable militaire américain cité plus haut, toujours sous couvert de l'anonymat. Raqa, ville à majorité sunnite de 200.000 habitants, ne peut pas être reprise par des Kurdes, abondent plusieurs sources.

Les facteurs turc et kurde

"A ce stade, il n'y a que deux forces en Syrie qui combattent Daech, les Forces démocratiques syriennes (une coalition kurde/arabe, soutenue par les Etats-Unis) et les rebelles syriens de l'ASL (Armée syrienne libre, soutenue par la Turquie)", selon la source française. Les effectifs sont-ils suffisants ? Les militaires l'affirment, mais les estimations d'hommes disponibles vont de 10.000 à 30.000 hommes suivant les sources.

Surtout, l'antagonisme entre les milices kurdes et la Turquie, qui a lancé une opération terrestre dans le nord de la Syrie en août pour empêcher toute constitution d'un territoire autonome kurde, rend impossible toute collaboration entre ces deux forces.

Washington semblait mercredi donner la préférence à Ankara. "Nous travaillons de façon importante avec l'armée turque en Syrie. Cela a donné des résultats très significatifs avec la prise de Dabiq (en octobre)", a déclaré Ashton Carter à Bruxelles après une rencontre avec son homologue turc Ismet Yilmaz.

"Nous cherchons d'autres occasions de collaborer en Syrie, et d'y inclure Raqa", a-t-il dit.

Dernière question: quid de l'attitude de Moscou, belligérant en Syrie au côté du régime d'Assad ? "La Russie mène une autre guerre. Elle écrase l'opposition à Alep. Et Raqa n'est pas un sujet qui l'intéresse, manifestement", selon la source française.

"Avec l'attention portée sur Mossoul et Raqa, on risque d'oublier ce qui se passe au nord ouest, à Alep", écrasée sous les bombes russo-syriennes depuis un mois, déplore un diplomate français.

Avec AFP