L'OIAC appelle à ne pas sacrifier la lutte contre les armes chimiques sur l'autel des intérêts politiques

Le directeur-General de l'OIAC Ahmet Uzumcu à une conférence de presse, à Rome, le 16 janvier 2014.

Le directeur sortant de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a exhorté les nations à ne pas sacrifier au profit d'intérêts politiques à court terme un siècle d'efforts pour débarrasser le monde de ces armes toxiques.

Dans un entretien accordé à l'AFP à quelques jours de son départ et à un moment où ses experts sont au Royaume-Uni pour enquêter sur une attaque présumée à l'aide d'agents neurotoxiques, nommés Novitchok par Londres, Ahmet Uzumcu a appelé les Etats-membres de l'OIAC à surmonter leurs divisions.

La Convention sur les armes chimiques, qui interdit l'utilisation, la production et le stockage d'armes telles que le gaz moutarde, dispersé sur les tranchées de la Première Guerre mondiale puis dans la ville kurde de Halabja en 1988, est entrée en vigueur en 1997.

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"La communauté internationale a mis plus de 100 ans pour arriver à ce stade" dans la lutte contre les armes chimiques. "Ce serait vraiment dommage d'en faire une victime d'intérêts politiques à court terme", a souligné M. Uzumcu, qui passera le témoin au diplomate espagnol Ferdinand Arias.

Lorsque ce diplomate turc chevronné a pris ses fonctions de directeur général en juillet 2010, l'OIAC était méconnue, s'employant dans la tâche ardue d'éliminer le stock mondial d'armes chimiques.

Au total, 193 pays ont adhéré à la convention et 96% des stocks déclarés ont été éliminés. Les 4% restants se trouvent aux États-Unis et devraient être détruits d'ici à 2023.

De l'ombre à la lumière

Malgré cela, la guerre civile en Syrie a donné lieu à des allégations répétées d'attaques à l'arme chimique contre des civils : 85 enquêtes ont été effectuées par les experts de l'OIAC et 14 d'entre elles ont permis de prouver l'emploi d'une telle arme.

Habitués à oeuvrer dans l'ombre, les enquêteurs de l'OIAC ont fini par attirer l'attention d'une communauté internationale anxieuse face à la recrudescence des recours aux armes chimiques, y compris sur le sol européen.

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"Nous avons dû restructurer, revoir les priorités dans notre travail ... nous avons dû préparer et former notre personnel pour aller en Syrie dans les zones de conflit", explique M. Uzumcu.

Même après "l'incident le plus traumatisant", lorsqu'une équipe de l'OIAC a été attaquée et prise en embuscade en mai 2014, les volontaires n'ont pas manqué, y compris au moment de constituer l'équipe qui s'est rendue en avril à Douma, en Syrie.

Dans un rapport intérimaire, les experts ont exclu l'utilisation de gaz sarin au cours d'une attaque qui a provoqué la mort d'une quarantaine de civils dans cette ville syrienne. Cependant, l'OIAC n'a pas pour le moment exclu la présence de chlore.

"Noble cause"

Les équipes sont motivées par "le sens du devoir : à leurs yeux, elles contribuent en fait à une noble cause, bannir les armes chimiques, empêchant ainsi leur utilisation et donc que des gens soient blessés", poursuit le diplomate turc.

Mais aujourd'hui, l'OAIC, qui a reçu en 2013 le prix Nobel de la paix pour son travail, est déchirée par les conflits entre l'Occident et la Russie, le principal allié de la Syrie.

"J'espère que cette division entre les Etats-membres sera très bientôt terminée et qu'ils seront à nouveau réunis comme c'était le cas" avant, a déclaré M. Uzumcu, avertissant que les armes chimiques étaient en pleine évolution.

Du gaz moutarde a été utilisé par le groupe État islamique et "les risques de prolifération sont élevés, nous devons en être conscients", a insisté le diplomate, faisant notamment allusion aux jihadistes qui rentrent dans leur pays.

Tabou

L'OIAC doit pouvoir aller plus loin et la communauté internationale en est consciente. Après un vote historique le mois dernier, cette organisation dont le siège est à La Haye est désormais habilitée à désigner ceux qui emploient des armes chimiques en Syrie.

Attribuer "la responsabilité est la clé", le premier pas vers la traduction en justice des coupables, selon M. Uzumcu.

Sinon, "nous ne pouvons pas assurer la dissuasion, nous ne pouvons pas empêcher d'autres utilisations, une culture de l'impunité serait extrêmement dangereuse pour l'avenir", a-t-il martelé, tandis qu'une équipe de l'OIAC se trouve au Royaume-Uni pour la deuxième fois cette année.

Arrivés dimanche, ces enquêteurs devaient prélever des échantillons de tissus de Dawn Sturgess, morte le 8 juillet. Elle et son conjoint, Charlie Rowley, qui se rétablit à l'hôpital, auraient été exposés au même poison que celui utilisé en mars à Salisbury contre un ancien espion russe et sa fille.

Préoccupé par les événements en Angleterre, le directeur sortant de l'OIAC a révélé la mise en place d'un petit groupe de travail pour en savoir plus sur cet agent innervant, du Novitchok selon le Royaume-Uni, si rare qu'il ne figure même pas dans les fichiers de cette organisation internationale.

Avec AFP