Malgré une baisse de celles-ci ces derniers mois, la plupart des éleveurs vivent toujours dans la psychose, évitant de convoyer leur bétail vers les pâturages des zones frontalières.
"Nous n'allons plus en brousse nourrir le bétail à cause des combattants de Boko Haram. Ils nous ont chassés", affirme, anxieux, M. Mahama.
"Si tu oses progresser vers la brousse, ils vont t'arracher ton troupeau", précise-t-il. Entre 2012 et 2016, Boko Haram a volé ou tué au moins 48.000 bovins et petits ruminants dans la région camerounaise où les djihadistes sévissent, ainsi que 4.000 volailles, selon le ministère de l'Elevage.
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Le vol du bétail, bien qu'en régression, se poursuit. Face à la menace, de nombreux bergers de la région préfèrent rester au village pour nourrir leur bétail.
Mais la nourriture manque : "Les boeufs ont faim, ils n'ont rien à manger", se désole Issoufa Mahama.
A l'ombre d'un arbre, deux boeufs faméliques et quelques chèvres lui appartenant se partagent une poignée de tiges de mil jetées à même le sol.
Non loin de ce petit troupeau, quatre membres d'un groupe d'autodéfense armés de fusils traditionnels sont installés au coin d'une rue, filtrant les entrées dans le village. En 2016, au moins 19 personnes avaient péri dans un double attentat-suicide sur le marché de Mémé.
A une dizaine de kilomètres, six civils ont été tués début juin dans une attaque de Boko Haram perpétrée dans le village de Mangave Foya Djalingo.
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A Mémé, 18.700 des 88.700 habitants sont des déplacés ayant fui - souvent avec leurs troupeaux - les exactions du groupe djihadiste, selon le lamido, le chef local.
Et avec "38 personnes" à sa charge, parmi lesquelles des femmes, enfants, proches et déplacés, difficile pour M. Mahama de joindre les deux bouts.
"Je ne parviens plus à leur donner à manger", explique l'éleveur, précisant qu'autrefois il y avait trois repas par jour, mais qu'actuellement "il y a des jours où il n'y a rien à manger".
"Pas d'eau"
Traditionnellement, "ce n'est pas facile de trouver de l'herbe pour le bétail parce que ici chez nous, nous n'avons que quatre mois de pluies dans l'année", explique Boukar Maloum, un autre berger du village, ajoutant qu'en ce temps de saisons capricieuses s'est ajoutée la menace djihadiste.
Les quelques pâturages du village n'ont guère plus d'herbe verte. A l'entrée de sa concession, deux de ses boeufs font des va-et-vient, cherchant désespérément quelque chose à se mettre sous la dent.
Même les tiges de mil que les éleveurs coupaient gratuitement après les récoltes dans les champs sont désormais vendus, selon M. Boukar, signe de l'appauvrissement des populations.
A Mémé, les éleveurs doivent encore faire face à un autre défi. "C'est l'eau. Nous n'avons pas d'eau", déplore Boukar Maloum, alors qu'il fait 45 degrés Celsius à l'ombre et qu'il faut parcourir "jusqu'à 3 km" pour s'en procurer.
Son troupeau est passé d'une trentaine de boeufs avant le début de la crise sécuritaire à neuf.
Dans l'extrême-nord en général, le secteur de l'élevage est l'un des plus affectés par les attaques de Boko Haram.
Dans ce secteur, les pertes directes liées aux attaques imputées aux djihadistes étaient estimées en mai 2016 à près de 55 milliards de francs CFA (83,8 millions d'euros), selon le ministère de l'Elevage.
Le ministère précise dans une étude que les attaques de Boko Haram ont provoqué la fermeture de 21 marchés à bétail, soit l'essentiel des points de vente existant dans la région. Au moins 135 éleveurs de la région ont été tués dans ces assauts.
Mi-juin, le gouvernement camerounais et le Comité international de la Croix-rouge ont lancé une campagne de vaccination d'un million de chèvres et moutons pour prévenir la peste des petits ruminants dans deux départements de l'extrême-nord.
"Pendant deux ans, les animaux n'avaient pas eu de traitement et de vaccins à cause des attaques de Boko Haram. Nous n'arrivions pas à aller en brousse", explique Mathieu Dara, technicien des industries animales au centre zootechnique vétérinaire de Mora. "Beaucoup d'animaux sont morts par manque de prise en charge".
L'opération de vaccination lancée à Mémé a été bien accueillie par les éleveurs, mais ceux-ci espèrent plus : "C'est une bonne chose de vacciner nos chèvres et moutons, mais s'ils n'ont rien à manger, ils vont mourir", déplore M. Mahama.
Il affirme avoir perdu deux boeufs en deux semaines et soupçonne que la maladie et la sous-alimentation sont à l'origine de ces pertes.
Avec AFP