La cogestion de Tadjourah : un pont entre Djibouti et l'Éthiopie face aux tensions régionales

  • Eric Manirakiza

Paul-Simon Handy, directeur de l'Institut d'Etudes de Sécurité (ISS) à Addis-Abebba, Ethiopie. (Crédit photo: Paul-Simon Handy)

La récente proposition de Djibouti de cogérer le port de Tadjourah avec l'Éthiopie pourrait bien marquer un tournant dans les tensions régionales qui secouent la Corne de l'Afrique. Cependant, au-delà des considérations économiques, la question militaire reste un point de discorde majeur.

Dans un contexte où les tensions régionales continuent de croître, la proposition de Djibouti semble apparaître comme une bouffée d'air frais dans la Corne de l'Afrique. Selon Paul-Simon, directeur de l'Institut d'Études de Sécurité, cette initiative est à la fois audacieuse et stratégique, apportant une solution viable à l'enclavement de l'Éthiopie tout en répondant aux craintes de Djibouti face à la perte d'un partenaire commercial crucial. "Djibouti fait d'une pierre plusieurs coups", explique-t-il. "Non seulement elle propose un second accès maritime à l'Éthiopie, mais elle le fait en partageant la souveraineté, démontrant ainsi une grande capacité à trouver des solutions consensuelles." L'expert estime qu’il s’agit d’un coup stratégique qui permet à Djibouti de maintenir son rôle central dans la région tout en garantissant une certaine sécurité économique à long terme, parce que le ministre djiboutien des Affaires étrangères est candidat à la succession de Moussa Faki Mahamat à la tête de la commission de l’Union africaine.

L'Éthiopie, nation de plus de 120 millions d'habitants, dépend aujourd'hui à près de 85 % du port de Djibouti pour ses importations. Cette dépendance a poussé le gouvernement éthiopien à explorer de nouvelles alternatives, notamment à travers un mémorandum d'entente controversé avec le Somaliland, une région non reconnue internationalement, mais autoproclamée indépendante. Ce mémorandum inclut également la création d'une base navale éthiopienne sur le territoire somalilandais. Mais l'idée de céder une portion du territoire du Somaliland pour une base navale éthiopienne a provoqué des tensions avec Djibouti et la Somalie, qui revendique le Somaliland. "Le soutien de l'Éthiopie aux ambitions sécessionnistes du Somaliland dans une région qui a déjà connu des séparations douloureuses, comme en Érythrée et au Soudan du Sud, est difficilement justifiable," rappelle Paul-Simon.

"Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a toujours exprimé son ambition de revitaliser la marine éthiopienne, mais pour cela, il lui faut un accès à la mer," souligne notre expert. "Depuis l'indépendance de l'Érythrée, l'Éthiopie s’est retrouvée enclavée et la relance d’une marine sans côtes pose de sérieux défis diplomatiques." La proposition de Djibouti, qui met de côté la question militaire au profit d'une solution économique, apparaît comme une voie possible vers la stabilisation régionale. Elle pourrait apaiser les craintes de la Somalie et du Somaliland tout en répondant aux besoins de diversification des routes commerciales de l'Éthiopie. "Cette offre djiboutienne est importante parce qu'elle adresse le problème de fond sans aggraver la situation militaire", souligne l'analyste.

Sur le plan international, la résolution de ces tensions ne pourra pas se limiter aux forums régionaux tels que l'IGAD ou l'Union africaine. Paul-Simon insiste sur l'importance d'une approche multilatérale, incluant les puissances commerciales comme la Chine, l'Inde et les pays européens. "La paix dans cette région est essentielle pour le commerce maritime mondial, et cela va nécessiter une coopération au-delà du continent africain", conclut-il.

La proposition de Djibouti, si elle est bien encadrée, pourrait donc non seulement répondre aux besoins pressants de l'Éthiopie, mais aussi favoriser une meilleure intégration régionale et éviter de nouvelles escalades de tensions dans la Corne de l'Afrique.