"La situation est catastrophique à Djibo. La faim est à un tel niveau qu'elle commence à tuer des enfants et des personnes âgées", s'alarme Idrissa Badini, porte-parole d'un groupement d'organisations de la société civile de la province du Soum, dont Djibo est le chef-lieu.
Selon M. Badini, une quinzaine de personnes sont mortes de faim en octobre dans cette ville sous blocus jihadiste depuis plusieurs mois. "Il y a probablement plus de victimes, tous les cas n'ont pas été rapportés", craint-il.
En dynamitant des ponts et en menant des attaques meurtrières contre les convois qui ravitaillent cette grande ville du nord du Burkina, les jihadistes ont plongé Djibo et sa région dans le dénuement.
"En ville toutes les boutiques sont fermées, il n'y a rien à manger, rien à vendre. Que vous soyez pauvre ou riche, vous ne pouvez rien acheter car aucun produit n’est disponible. Le pire c’est que nous sommes en saison sèche, les feuilles ou autres herbes qu’on arrachait pour bouillir ne sont même plus disponibles. Des gens meurent de faim", confirme de son côté Souleymane Dicko, un habitant de Djibo ayant regagné Ouagadougou.
"Il est très difficile d'approvisionner la ville par voie terrestre. C’est en prenant la route qu’on se rend compte que c’est vraiment l’axe de la mort. Des carcasses de véhicules qui ont sauté sur des mines jonchent l’axe Djibo-Bourzanga", décrit-il, interrogé par l'AFP.
C'est sur cette route que plusieurs convois de ravitaillement ont été récemment attaqués. En septembre, 35 personnes – dont des enfants – ont été tuées par l'explosion d'une mine au passage de leur camion et 11 soldats ont été tués dans une autre embuscade contre un convoi.
Or ces approvisionnements sont cruciaux: dans de nombreuses parties du pays, la production agricole de denrées alimentaires est inexistante car les champs ne sont pas accessibles en raison de l'insécurité.
"La peau sur les os"
Le nouvel homme fort du Burkina, le capitaine Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir par un putsch fin septembre en invoquant la dégradation sécuritaire, a choisi d'aller à Djibo pour son premier déplacement dans le pays, au début du mois de novembre. Sans minimiser la situation.
"Allez voir les enfants qui ont la peau sur les os, les vieillards qui meurent de faim, ces femmes qui ne peuvent plus allaiter parce qu’elles n’ont plus rien dans le sein", a-t-il lancé, vendredi dernier à Ouagadougou, face à des représentants de partis politiques et d'organisations de la société civiles. "Ne faisons pas semblant! Ça existe, des gens qui mangent des feuilles pour survivre", a t-il ajouté, dépeignant une "situation préoccupante", où "le territoire est presque perdu".
En quelques années, Djibo est devenu le point de ralliement des déplacés internes de la région, ces habitants de localités du nord chassées par les violences jihadistes des groupes liés à Al-Qaida et à l'Etat islamique. Sa population – aujourd'hui estimée à 300.000 habitants – a triplé. Mais aujourd'hui certains cherchent à fuir plus au sud, jusqu'à la capitale Ouagadougou.
"Privés d’eau, de nourriture, de médicaments et de réseau téléphonique, beaucoup quittent Djibo à pied, de nuit, pour espérer rejoindre des zones toujours accessibles", explique à l’AFP un humanitaire sous couvert d’anonymat.
Selon les Nations unies, des dizaines de localités au Burkina font face aux mêmes conditions que Djibo. Près d'un million de personnes vivent actuellement dans des zones sous blocus, dans le nord ou l'est du pays.
"Au bord de la catastrophe"
Idrissa Badini prend l'exemple d'Arbinda, à l'est de Djibo où des dizaines de milliers de personnes des localités alentours se sont regroupées pour fuir des attaques.
"Les convois terrestres réguliers qui approvisionnaient les populations en vivres et produits de subsistance se sont arrêtés. Depuis deux mois rien n’est rentré à Arbinda. La population qui a épuisé ses stocks de réserve se trouve au bord de la catastrophe humanitaire", dépeint-il.
Malgré les attaques, les ravitaillements ont récemment repris. Fin octobre, 70 tonnes de céréales ont été transportées par voie aérienne par l’armée dans la ville de Djibo, qui a ensuite été ravitaillée par voie terrestre les 2 et 3 novembre avec plus de 300 tonnes de vivres, selon l’état-major. Sept mines avaient été désamorcées sur le trajet.
"On a pu ravitailler certains villages mais d’autres pas encore", a reconnu le capitaine Traoré. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), près de 3,5 millions de personnes auront besoin d'une aide alimentaire d'urgence dans les mois à venir au Burkina.