La France est le premier État à introduire en Europe une telle taxation, après un ultime vote du Sénat jeudi, quelques heures après des menaces de représailles de Washington.
Estimant qu'elle "vise injustement les entreprises américaines", les États-Unis ont lancé une enquête sur les effets de cette mesure fiscale au titre de l'article de la loi du commerce dit "Section 301".
C'est "la première fois dans l'histoire des relations entre les États-Unis et la France que l'administration américaine décide d'ouvrir une procédure au titre de la section 301", a souligné jeudi le ministre français de l'Économie et des Finances Bruno Lemaire.
Or, une telle enquête peut ouvrir la voie, selon ses conclusions, à des mesures de représailles de la part de Washington.
La section 301 - relatives aux barrières "injustes" aux exportations américaines de la part des partenaires étrangers - est par exemple invoquée contre la Chine avec laquelle les États-Unis rivalisent de surtaxes douanières depuis l'an dernier.
Mais la France qui s'est faite la championne de la taxe Gafa au nom de la "justice fiscale", n'entend pas se laisser impressionner et a rejeté toute "menace".
"Je crois profondément qu'entre alliés, nous devons et nous pouvons régler nos différends autrement que par la menace", a lancé M. Lemaire devant le Sénat juste avant le vote.
Lire aussi : Taxation du numérique: les bases d'un accord au G20"La France est un État souverain, elle décide souverainement de ses dispositions fiscales et elle continuera de décider souverainement de ses décisions fiscales", a-t-il aussi affirmé.
"Je veux redire à nos partenaires américains que cela doit être une incitation pour eux à accélérer encore plus les travaux sur la solution internationale de taxation du numérique à l'échelle de l'OCDE", a-t-il poursuivi.
- "palliatif" -
"Nous aurons d'ici (à) dix jours le G7 des ministres des Finances à Chantilly (près de Paris, NDLR), le secrétaire américain au Trésor sera présent, accélérons les travaux au niveau international, trouvons une solution commune, trouvons une solution au niveau de l'OCDE et passons par des accords plutôt que des menaces", a-t-il prôné.
Il s'agit là "de meilleure politique", selon le ministre français, "pour traiter cette question fondamentale de la taxation des géants du numérique", américains mais pas uniquement.
Les négociations au sein de l'OCDE sur le sujet, qui étaient bloquées par les États-Unis depuis plusieurs années, ont repris depuis le début de l'année avec l'espoir d'arriver à une mise en place dès 2020.
Le ministre avait auparavant rappelé aux sénateurs que la France avait poussé pour une taxe européenne, finalement mise en échec par quatre pays - l'Irlande, la Suède, la Finlande et le Danemark - soulignant que la taxe française serait retirée "dès qu'une solution crédible" serait trouvée au plan international.
Selon Bruno Lemaire, lors du G20 Finances réuni début juin au Japon, les argentiers des grandes économies de la planète ont promis de "redoubler d'efforts" pour "remettre de la justice fiscale sur la scène internationale".
La mesure unilatérale française, qui devrait s'appliquer à une trentaine de groupes comme les Gafa mais aussi Meetic, Airbnb, Instagram, le français Criteo, cible les entreprises dont le chiffre d'affaires sur les activités numériques dépasse 750 millions d'euros dans le monde, dont 25 millions d'euros pouvant être rattachés à des utilisateurs localisés en France.
L'idée est de les imposer à hauteur de 3% du chiffre d'affaires réalisé en France notamment sur la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes.
"Imparfaite économiquement, puisqu’elle taxe le chiffre d’affaires et non les bénéfices, et complexe dans sa mise en oeuvre sur plusieurs aspects, cette nouvelle taxe doit être vue comme un palliatif, dans l’attente d’une décision multilatérale", selon la commission des Finances du Sénat.
Pour la gauche, la taxe va dans le bon sens, mais reste très insuffisante.
La taxe, dont l'instauration avait été annoncée par le président français Emmanuel Macron fin 2018, en pleine fronde sociale des "gilets jaunes", doit contribuer à financer les 10 milliards d'euros de mesures d'urgence économiques et sociales qui avaient alors été mises sur la table.