Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, l'a annoncé sans détour à l'OCDE : "Dans ces conditions, nous ne pouvons pas autoriser le développement de la Libra sur le sol européen", a-t-il affirmé lors d'une conférence consacrée justement aux défis des cryptomonnaies.
Chargé d'ouvrir les débats, le ministre s'est livré à un réquisitoire très sévère contre la cryptomonnaie que Facebook prévoit de lancer en 2020, allant plus loin que dans ses interventions précédentes où il avait déjà exprimé sa préoccupation sur la Libra.
Lire aussi : Facebook se lance dans l'arène des cryptomonnaies avec "Libra"Considérant que "la souveraineté monétaire des Etats était en jeu", il n'a pas hésité à qualifier de "systémiques" les risques que pourrait entraîner cette "privatisation éventuelle d'une monnaie (...) détenue par un seul acteur qui a plus de 2 milliards d'utilisateurs sur la planète".
"Toute défaillance dans le fonctionnement de cette monnaie, dans la gestion de ses réserves, pourrait créer des désordres financiers considérables", a estimé M. Le Maire, redoutant également que la Libra se substitue à la monnaie nationale dans les Etats où la devise est faible ou connaît une forte dévaluation.
Le ministre, qui avait déjà émis publiquement ses doutes sur le projet de monnaie virtuelle de Facebook lors du G7 Finances de Chantilly en juillet, a également exprimé ses craintes de voir la Libra échapper au contrôle des Etats sur le financement du terrorisme.
"Je ne vois pas pourquoi nous portons autant d'attention depuis des années à éviter toute utilisation d'une monnaie pour le blanchiment et pour la lutte contre le financement du terrorisme et qu'une monnaie digitale comme Libra échapperait à ces obligations", a-t-il affirmé.
- Etats "forts" et technologies "puissantes" -
Sur le même ton, le ministre a refusé que les cryptomonnaies puissent se développer sans aucune régulation.
"Je ne vois pas pourquoi les nouvelles technologies seraient forcément guidées par une idéologie libertarienne qui refuse toute régulation et qui conteste tout rôle à l'Etat", a-t-il expliqué. "Je pense, au contraire, que l'on peut avoir des Etats forts et des technologies nouvelles puissantes".
Dans son discours, M. Le Maire a pris soin de faire la différence entre la Libra et les cryptommonaies, se disant pars ailleurs "passionné" par le sujet et rappelant que la France réfléchit à la création d'une monnaie numérique publique émise par les banques centrales.
"Je crois à la blockchain", a-t-il assuré. "Il s'agit d'une technologie d'avenir, une technologie majeure du XXIe siècle qu'il faut prendre au sérieux, organiser et faire en sorte que les Etats membres de l'OCDE soient en tête de la maîtrise de cette technologie", a-t-il expliqué.
Il a d'ailleurs demandé à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui travaille actuellement sur la taxation des géants du numérique, de s'emparer également de la question de la fiscalité des cryptomonnaies.
"Je souhaite que l'OCDE engage à son tour des réflexions sur le rapprochement des modèles de fiscalité des transactions sur les cryptoactifs", a affirmé M. Le Maire. "Il est nécessaire que les modèles fiscaux soient les mêmes, de façon à ce que nous ayons des stratégies d'arbitrage réglementaires qui soient les mêmes à travers la planète", a-t-il ajouté.
Avec la création annoncée mi-juin d'une monnaie numérique offrant un mode de paiement alternatif aux circuits bancaires traditionnels, Facebook veut bouleverser le système financier mondial. Inspirée de cryptoactifs comme le bitcoin, elle doit toutefois être gérée par un consortium à but non-lucratif.
Le projet suscite néanmoins de vives inquiétudes tant de la part des banquiers centraux, des politiques que des autorités de régulation, au regard notamment des risques pour la stabilité financière.
En juillet, les ministres des Finances du G7 avaient alerté sur les risques pour le système financier international des projets de cryptomonnaies.