La lutte contre les jumeaux phénomènes de foire en Côte d'Ivoire

Des frères jumeaux, Salim et Mahamadou Cisse, près de leur mère alors qu’ils mendient sur un marché à Abobo, dans la banlieue d’Abidjan, le 6 septembre 2018.

En Côte d'Ivoire, on exhibe comme des phénomènes de foire à des fins de mendicité les jumeaux, considérés comme étranges, voire surnaturels.

Coupelle de quête devant eux, habillés à l'identique de boubous et bonnets blancs tout propres, Khol autour des yeux, les jumeaux Salim et Mamadou, âgés de 5 ans, se chamaillent gentiment entre les voitures coincées par les embouteillages et les innombrables passants.

Sur le rond-point de la mairie de l'énorme quartier populaire d'Abobo à Abidjan, trois autres paires de jumeaux font aussi la quête: deux jumelles portent des pagnes identiques alors que deux autres paires de jumeaux portent respectivement shorts et maillots du Real Madrid et de l'équipe nationale nigériane.

"Arrêtez d'exposer nos frères jumeaux aux dangers. Sous la pluie, face au soleil, à la poussière, aux dangers, aux maladies! C'est dangereux en bord de route, devant les mosquées. Jumeau n'est pas sorcier, jumeau n'est pas mendiant", chante Lecko'Nda (Nda, veut dire jumeau en langue Akan) dans un titre destiné à faire cesser cette pratique.

L'Association des jumeaux et plus de Côte d'Ivoire (ADJPCI) mène régulièrement des actions de sensibilisation. "L'objectif principal, c'est de lutter contre le phénomène des enfants jumeaux qu'on expose pour la mendicité", affirme Jean-Trésor Depari, aux côtés de son jumeau Jean-Paul.

L'ADJPCI compte 1.000 membres et estime à 5.000 "au minimum" le nombre de jumeaux dans le pays".

"Nous sommes vraiment confrontés à une situation très compliquée en Côte d'Ivoire et en Afrique", explique Jean-Trésor Depari. "La place d'un enfant se trouve à l'école!", tonne-t-il.

Des jumeaux assistent à la célébration de la journée des jumeaux à Abobo, dans la banlieue d’Abidjan, le 8 septembre 2018.

"C'est la pauvreté qui fait ça"

"Sortir avec les enfants au bord de la route ne nous plaît pas. C'est la pauvreté qui fait ça!", reconnait Aicha Cissé, la mère de Salim et Mamadou.

Elle explique que les "jetons" (pièces de 50 ou 100 F CFA) qu'on lui donne représentent environ 2000 FCFA (3 euros) par jour voire parfois 5000 (7,5 euros). Des passants offrent aussi des arachides, des légumes ou du manioc en provenance du marché tout proche.

Avant la naissance de ses enfants, elle faisait des lessives pour les particuliers mais n'a personne pour garder les jumeaux à la maison, explique-t-elle.

"Tant qu'ils ne sont pas scolarisés, c'est la seule solution. Mais dès qu'ils iront à l'école, l'année prochaine ou dans deux ans, je reprends la lessive. Si Dieu le veut", assure Aicha.

De nombreux parents retardent la scolarité des jumeaux pour bénéficier de la manne qu'ils représentent lorsqu'on les fait mendier. Ou les privent d'école le vendredi (jour de prière à la mosquée, qui rapporte gros) et continuent à les exposer les weekends, selon l'ADJPCI et des observateurs.

"En Afrique surtout, les naissances sont un symbole de prospérité, une bénédiction, cela donne lieu à de nombreux rites, à plus forte raison quand il s'agit de jumeaux", explique Fidelia Gaudet, sociologue spécialiste des jumeaux.

Un artiste danse avec des jumeaux lors de la célébration de la journée des jumeaux à Abobo, dans la banlieue d'Abidjan, le 8 septembre 2018.

Serpents, sacrifices humains

"La naissance de jumeaux a suscité la stupéfaction et donné naissance à des mythes. Comme on ne la comprenait pas scientifiquement (...) des fables ont émergé. Cela relevait de la divinité. Donc cela inspire la peur", dit-elle.

"Pour promouvoir la cohésion sociale, éviter les infanticides, la marginalisation... des légendes sont nées. On dit ainsi, par exemple, que les jumeaux sont protégés par des serpents ou qu'ils peuvent se transformer en serpents", relève-t-elle.

Mais "malheureusement", ces mythes ont poussé certaines personnes à faire des jumeaux "des objets de sacrifices humains, qui attireraient la richesse", souligne la sociologue.

Des histoires auxquelles des jumeaux ont fini par croire. "Il y avait des trucs qui se passaient. Des serpents qui apparaissaient trop dans la maison. Chaque nuit, les serpents étaient dans la chambre de notre maman. (...) Jusqu'à maintenant, les serpents continuent de nous suivre", explique Romeo Guioho, 24 ans, aux côtés de son jumeau Romain.

"Une fois, mon frère partait se battre avec un groupe et le serpent est apparu. C'était un gros serpent noir, les gens ont commencé à fuir. C'est quand on nous agresse que le serpent apparaît", dit-il.

S'ils ne sont pas devenus des sorciers, malgré ces pouvoirs qu'on leur prête, c'est à cause de la foi chrétienne dans leur famille, assurent-ils.

Ils préfèrent s'amuser de leur ressemblance et faire des blagues aux amis et même à leurs petites amies: "On s'échange (les habits). Pour voir si elle va nous reconnaître, quoi! Ca marche, ça marche beaucoup", dit Romeo.

"On est gentil, pas trop compliqué, on aime s'amuser et faire rire avec les gens. Voilà pourquoi les gens aiment trop notre affaire! On est fier d'être jumeaux et on est heureux".

Avec AFP