Durant des siècles, le pèlerin allait à La Mecque avec les économies d'une vie entière et au prix d'un long voyage, à pied ou sur une monture. Et le statut de hajj, nom donné à celui qui a fait le pèlerinage, garantissait une reconnaissance sociale.
Aujourd'hui, La Mecque accueille de plus en plus de jeunes pour lesquels le pèlerinage ne représente pas ainsi l'accomplissement de toute une vie ou l'octroi d'un statut social mais simplement un "must" spirituel.
Mohammed et sa femme Madiha, 28 ans, qui viennent de Paris racontent que nombre de leurs amis ont fait le pèlerinage avant eux. L'agence où ils ont réservé leur voyage leur a assuré convoyer de nombreux jeunes couples.
"Le pèlerinage est un des cinq piliers de l'islam, c'est une obligation", indique Mohammed, professeur d'éducation physique, en faisant la queue devant un fast-food.
"Plutôt que d'acheter des biens matériels, comme une voiture, mieux vaut dépenser notre argent dans quelque chose qui va nous rapporter sur le plan spirituel", renchérit Madiha, étudiante en sciences de l'éducation.
Aujourd'hui, note Omar Saghi, auteur de "Paris-La Mecque, sociologie du pèlerinage", "le hajj n'est plus l'horizon mystique de toute une vie mais un événement rationnel, presque banalisé qui tend à échapper à son statut d'exception pour passer dans un cadre programmable et donc reproductible".
'Nouvelle clientèle'
Une cannette de boisson gazeuse dans une main et un cornet de frites dans l'autre, Saniah, une musulmane britannique, se rend à La Mecque pour la deuxième fois de sa vie.
Tout juste sortie de la Grande mosquée de La Mecque où elle a fait la prière hebdomadaire, elle déjeune avec son mari dans un des nombreux centres commerciaux ultra-modernes qui entourent le lieu le plus sacré de l'islam.
"Il y a 12 ans, nous étions venus avec ma famille pour la omra" (petit pèlerinage), se rappelle la jeune femme élégamment voilée de vert et noir. Mais, cette fois, elle revient pour le hajj, le grand pèlerinage, parce que "un changement radical dans une vie".
Les longues marches et les prières sous un soleil de plomb "sont plus faciles à supporter quand on est jeune", ajoute-t-elle dans un sourire.
Mohamed Khazma, qui travaille comme agent de sécurité à Tripoli, dans le nord du Liban, cherche une table libre où manger son poulet frit. A 27 ans, il se dit comblé d'avoir réussi à réunir la somme pour se rendre à La Mecque, car "c'est une opportunité que tout le monde n'a pas".
La proportion de plus en plus importante de ces jeunes "plus éduqués et déjà habitués au tourisme et à la consommation de masse" a peu à peu participé au changement de visage de La Mecque, selon M. Saghi.
"Les nouvelles enseignes, les grands groupes captent cette nouvelle clientèle que le marché classique, fait d'hôtels et de restaurants familiaux, ne peut satisfaire", affirme le spécialiste à l'AFP.
'Loin de l'époque d'Abraham'
Saniah se rappelle que lors de son premier séjour à La Mecque il y a 12 ans, "on mangeait dans la rue". Mais maintenant, "c'est beaucoup mieux, on a l'option de pouvoir prendre un service cinq étoiles".
Chez certains néanmoins pointe un malaise de voir se côtoyer spiritualité et consommation de masse.
Mohammed Khazma assure n'avoir cure des centres commerciaux, de la climatisation, des restaurants et autres magasins.
"J'oublie tout ça, je prends mon Coran, quelques dattes et de l'eau et je reste dans la Grande mosquée de l'après-midi jusqu'au milieu de la nuit", indique le jeune homme, courte barbe taillée de près et longue djellaba grise.
Mohammed et Madiha aussi se disent parfois mal à l'aise avec tout ce confort, "bien loin de la dureté du désert et de l'époque d'Abraham" dont le sacrifice est rappelé lors de l'Aïd al-Adha, la grande fête qui clôt le hajj.
"On a été obligés de passer par une agence de voyage et donc de prendre la formule avec l'hôtel qu'elle proposait. Mais on se demande souvent si tout cela est en adéquation avec notre quête spirituelle", affirme Mohammed.
"Les magasins, le luxe, les centres commerciaux, ça brouille l'aspect spirituel".
Avec AFP