Dorcas, mère de quatre enfants, se retrouve sans rien à Kamako dans le sud de la République démocratique du Congo comme la vaste majorité des quelque 200.000 Congolais obligés de quitter soudainement l'Angola en quelques jours.
"Tous nos enfants sont nés en Angola et ne parlent que le portugais", raconte la femme d'une quarantaine d'années qui vivait dit-elle depuis dix ans avec son mari à Lucapa, dans la province angolaise du Lunda Norte.
"Depuis la semaine passée, il y avait des rumeurs faisant état de l’expulsion des étrangers par les autorités angolaises. Nous pensions que même si cela était vrai, on expulserait que les nouveaux venus, pas nous qui sommes confondus aux Angolais", poursuit-elle, son dernier né dans les bras.
"Soudain, le lundi, nous avons vu des jeunes garçons de la communauté Tchiokwé avec les policiers angolais commencer à incendier les maisons de tous ceux qu’ils prenaient pour étrangers. Arrivés chez nous, ils ont blessé mon mari à la machette et nous avons été obligés de partir avec ce que nous avons pu prendre", raconte-t-elle, en écho à d'autres témoignages de violences communautaires qui font même état de morts.
Lire aussi : Au moins 180.000 clandestins congolais sont rentrés d'AngolaLes autorités angolaises les ont niés. Elles affirment avoir lancé une opération visant les "étrangers en situation irrégulière dans le pays, notamment dans les maisons d'achat de diamants".
Le gouverneur du Lunda Norte, Ernesto Muangala, a évoqué samedi "plus de 200.000 retours volontaires de Congolais en situation irrégulière".
Des pick-ups transportent sans cesse des Congolais vers la frontière, a constaté samedi un correspondant de l'AFP qui a fait l'aller-retour entre Kamako et la capitale provinciale du Lunda Norte, Dundo.
Devant le consulat de RDC, une dizaine de Congolais attendent. Ils brandissent tous des cartes de séjour angolaises.
"Qu’est-ce que nous allons faire en RDC ? Nous tous nous habitons Lucapa depuis 20 ans pour les uns et 10 ans pour les autres", avance Daniel Mukenge, la quarantaine, devant le consulat aux portes closes.
Condamnés à mort
"Nous nous sommes conformés aux lois en régularisant notre séjour. Nous avons investi ici et y avons construit des maisons", reprend Danielo (le prénom qu'il a pris en Angola).
"Maintenant que les autorités refusent même de reconnaitre les documents de séjour qu’ils nous ont délivrés, nous demandons au représentant de notre pays d’intercéder pour nous afin que les autorités angolaises rachètent nos maisons sinon nous sommes condamnés à la mort en RDC où nous n’avons pas de biens", conclut-il.
"La solution ce n’est pas ici", lance brièvement un fonctionnaire à ceux qui attendent le consul.
Retour vers le poste-frontière de Kamako. Dans la zone neutre, un officier de l’immigration angolais qui parle couramment le lingala fait mine de s'étonner: "Comment les gens peuvent-ils refuser de rentrer dans leur propre pays ? Ça fait rire".
Lire aussi : Des Congolais tués en Angola en marge de l'expulsion de clandestinsLa moyenne des personnes qui franchissent la frontière varie entre 200 et 1.000 par heure. Les services congolais sont débordés. "A cette allure, nous ne savons pas enregistrer", affirme Mathieu Boma du bureau local de la commission nationale des réfugiés.
A Kamako côté congolais, les "retournés" se réfugient comme ils peuvent sous les manguiers, dans les écoles, dans les églises.
Ce dimanche, les cultes catholiques ou des églises de réveil ont d'ailleurs commencé en retard en raison de leur afflux.
"Pour le moment, 750 familles de trois à quatre personnes sont dans nos installations qui ont une très faible capacité d’accueil", détaille le curé de la paroisse Saint Gabriel, l’abbé Crispin Mfamba, en lançant un appel à la solidarité.
"Nous sommes ici à Kamako sans argent. Nous vendons le peu de biens que nous avons pu amener pour manger", poursuit Dorcas, la mère de famille qui se fait un sang d'encre.
"Mon enfant de quatre ans est porté disparu à cause de la population que vous voyez ici. J’ai vendu mon pagne pour avoir les 2000 francs (1,20 dollar) pour payer le communiqué de la recherche de mon enfant à la radio". Un enfant qui ne parle que portugais, selon elle.
Avec AFP