La répression se durcit au Tchad, selon des témoignages

La police tchadienne déployée dans un quartier de Ndjamena pour empêcher une marche de femmes, Tchad, le 6 décembre 2016.

Tortures, détention au secret, manifestations interdites, des activistes de la société civile témoignent d'un durcissement ces derniers mois de la répression dans le Tchad du président Idriss Déby Itno, l'un des alliés africains de l'Occident contre les jihadistes où la ministre française des Armées, Florence Parly, se rend dimanche.

"Aujourd'hui, le gouvernement du Tchad est appuyé par les pays occidentaux au nom de la lutte contre le terrorisme. Les gens ont sacrifié la démocratie, les droits de l'homme, la bonne gouvernance, la liberté d'expression, au nom de la lutte contre le terrorisme", dénonce Nadjo Kaina, du mouvement Iyina ("Nous sommes fatigués" en arabe dialectal).

Lui-même a été arrêté à plusieurs reprises, dont la dernière fois en avril: "J'ai été détenu au secret pendant 21 jours", raconte-t-il, détaillant des faits relatés par l'AFP au moment de son interpellation par l'Agence nationale de sécurité (ANS, renseignement).

"J'étais les pieds enchaînés, les mains menottées, et pendant l'interrogatoire, on me mettait un sac avec des piments sur la tête. Je ne pouvais pas respirer pendant trois ou quatre minutes. J'agonisais. On l'enlevait, on m'arrosait avec de l'eau, on remettait et l'interrogation continuait toujours", poursuit le jeune de homme de 28 ans.

L'activiste affirme qu'il a été interpellé à la suite d'un appel de son mouvement contre le chômage des jeunes, l'injustice et les privations des droits de l'homme.

Nadjo Kaina a finalement été libéré après avoir été condamné à six mois de prison avec sursis pour "tentative de rassemblement", tout comme un autre activiste d'Iyina, Bertrand Sollo, qui affirme avoir subi le même sort en détention.

Président du Collectif tchadien contre la vie chère, Dingamnayal Nely Versinis témoigne également à visage découvert pour l'AFPTV après son interpellation musclée par l'ANS: "J'ai été soumis à des humiliations et des traitements inhumains", dit-il.

"A la seconde séance de torture, ils m'ont allongé, ils ont pris un tuyau, ils l'ont enfilé dans ma bouche, ils ont ouvert le robinet à haut débit. Mon ventre ballonnait. l'eau sortait par l'anus, tous les orifices", raconte M. Versinis, reprenant un récit qu'il avait publié en mai sur internet.

"On me demandait qui me finance, les Américains, les Français. J'ai répondu non. Ils me répondent que si ce ne sont pas des Blancs, ce sont des hommes de l'opposition", ajoute l'activiste, finalement relaxé faute d'éléments à charge.

"Je suis en liberté provisoire pour des raisons de santé", raconte à l'AFP un autre activiste, Maoundé Decladore, du collectif "Ca doit changer!".

"Après mon enlèvement et ma détention secrète, j'ai été soumis à des interrogatoires sous lumière irritante. Et aussi on m'a fait avaler un aliment qui a déclenché une diarrhée. Au quatrième jour, j'ai vomi du sang en prison", poursuit-il.

M. Decladore affirme avoir été inquiété à la suite d'un entretien donné à Radio France internationale (RFI) quelques mois auparavant.

- Préoccupation des Occidentaux -

Ces mauvais traitements sont pratiqués au secret dans des centre de détention "non-officiels", d'après Amnesty International.

La situation n'est guère meilleure dans des prisons ouvertes aux observateurs. "Nous avons pu constater à plusieurs reprises lors de notre passage dans ces prisons que les gens meurent par manque de nourriture, par manque de soins et pour cause de conditions déplorables d'hygiène", affirme Mahamat Nour Ibedou, de la Convention tchadienne pour la défense des droits humains.

Des journalistes ont aussi été inquiétés ces derniers mois et un blogueur, Tadjeddine Mahamat Babouri, se trouve en détention depuis fin septembre 2016, indique Amnesty qui s'inquiétait début juillet de son état de santé.

Les grandes chancelleries occidentales à N'Djamena (Union européenne, France, Etats-Unis, Suisse, Allemagne) ont aussi déclaré qu'elles étaient préoccupées "par la détention de plusieurs militants de la société civile, par l'absence d'information sur les charges retenues contre eux, ainsi que sur les conditions de leur détention" dans une déclaration commune du 25 avril.

La torture a été pratiquée à grande échelle au Tchad sous le prédécesseur du président Déby, Hissène Habré, renversé en 1990 et condamné définitivement à perpétuité en avril pour "crime contre l'humanité" par une Cour africaine spéciale.

"Je pense que ceux qui osent la comparaison entre Habré et Déby font injure aux dizaines de milliers de victimes qui ont subi les pires tortures dans les prisons de la DDS (ndr: les services de sécurité sous Habré), et à ceux qui, depuis 1990, peuvent s'exprimer librement", affirme le cinéaste Mahamat Saleh Haroun, auteur d'un documentaire "Hissène Habré, une tragédie tchadienne" - et ministre de la Culture du président Déby depuis février.

Avec AFP