La "cour suprême" du groupe californien a convenu de l'urgence qu'il y avait à bannir l'ancien chef d'Etat le 7 janvier, pour avoir encouragé l'invasion du Congrès par une foule de ses partisans. L'attaque avait fait cinq morts et restera comme un choc majeur pour la démocratie américaine.
Mais à charge pour Mark Zuckerberg, le patron, et ses équipes, de déterminer s'ils laissent ou non revenir l'homme politique aux 70 millions d'électeurs.
"Ils ont pensé qu'ils pouvaient se débarrasser d'un problème encombrant. Mais la balle est revenue dans leur camp", constate Sarah Roberts, professeure à l'université de Californie UCLA.
Pendant toute la campagne présidentielle américaine, et bien avant, le réseau et son voisin Twitter se sont vus reprocher de servir de mégaphone à l'ancien président, prompt à minimiser la gravité de la pandémie ou à dénoncer, sans preuve, de soi-disant fraudes électorales.
Son ostracisation numérique début janvier a suscité une nouvelle levée de boucliers: pour de nombreuses organisations civiles, c'était nécessaire, mais trop peu et trop tard. Pour d'autres, elle constituait un dangereux précédent en matière de liberté d'expression.
De fait, le milliardaire républicain est passé de près de 89 millions d'abonnés sur Twitter, 35 millions sur Facebook et 24 millions sur Instagram... à un blog sur son site et des comptes de soutien sur des réseaux alternatifs.
"Lâcheté"
"Nous avons assisté à une expansion bizarre du rôle des réseaux sociaux ces dernières années, surtout avec un président qui s'en servait pour annoncer des décisions exécutives", commente Sarah Roberts.
"Ils ont capitalisé sur cette perception de place publique, mais c'est aussi un fardeau".
Face aux campagnes de manipulation massives lors des scrutins de 2016 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, aux persécutions de la minorité Rohingya en Birmanie et à de nombreux autres scandales, Facebook a dû réagir pour conserver sa crédibilité auprès des utilisateurs et annonceurs.
Le géant des réseaux sociaux a multiplié les garde-fous: modération des contenus, lutte contre la désinformation, publicités politiques sur pause, davantage de transparence, et, depuis décembre, un conseil de surveillance.
Qualifié d'indépendant, mais financé par l'entreprise, il est composé de 20 membres internationaux, journalistes, avocats, défenseurs des droits humains et anciens dirigeants politiques.
"Un groupe de 20 personnes n'allait pas résoudre un problème aussi vaste et profond que celui de Facebook et ses 3 milliards d'utilisateurs", s'amuse Hany Farid, professeur à l'université de Berkeley.
La création du conseil "était un bon coup de pub, mais à la première occasion d'accomplir quelque chose ils ont choisi la lâcheté. Ce n'est pas de bon augure".
Fin janvier, Mark Zuckerberg a annoncé vouloir moins de politique et de "conversations clivantes" sur son réseau social, et plus d'interactions "positives".
Avec son directeur des affaires publiques, Nick Clegg, il appelle régulièrement à plus de régulation de la part des gouvernements, en concertation avec les plateformes.
"Les mains en l'air"
De fait, des élus se sont saisis du dossier. Aux Etats-Unis, ils voudraient réformer la "Section 230", une loi de 1996 qui protège les hébergeurs sur internet de poursuites liées aux contenus publiés par des tiers.
Il s'agirait notamment de les obliger à mieux filtrer les contenus et à les rendre plus responsables des conséquences bien réelles de certains échanges en ligne.
Mais modifier cette pierre angulaire des plateformes pourrait avoir des conséquences inattendues, car elle permet aux sites d'intervenir à leur gré contre les fauteurs de trouble, y compris contre Donald Trump.
Et tous les réseaux ne disposent pas des ressources pour financer des dizaines de milliers de modérateurs et des algorithmes sophistiqués.
Le changement n'est de toute façon pas pour demain, car le Congrès est très divisé, souligne Sarah Roberts.
"Pour certains, les réseaux sociaux sont un repère de trolls fascistes qui abusent du public, et pour d'autres, un lieu de discrimination contre les conservateurs".
A moyen-terme, Facebook, Twitter et une poignée d'entreprises vont donc continuer à "prendre des décisions majeures qui affectent la liberté d'expression", remarquent les experts de la puissante association de défense des droits civiques ACLU.
Quant à Mark Zuckerberg, qui a répété ne pas vouloir être "l'arbitre de la vérité", il a six mois pour résoudre son casse-tête.
"Il ne peut pas juste mettre les mains en l'air et faire comme si tout allait bien se passer ou attendre un miracle", résume la chercheuse.