Très tôt, le dimanche de Pentecôte, ces hommes ont attaqué le domicile du ministre de l’Économie Vital Kamerhe, dans le quartier huppé de la Gombe, au bord du fleuve Congo, avant d'investir non loin de là le palais de la Nation, bâtiment historique abritant des bureaux du président Félix Tshisekedi, où les forces de sécurité ont mis fin à leur aventure.
Lire aussi : "Tentative de coup d'état" en RDC : pas de preuve de la nationalité américaine de Malanga, selon WashingtonSelon le porte-parole de l'armée, une quarantaine d'entre eux, dont plusieurs ressortissants américains, ont été arrêtés. Quatre autres ont été tués, dont leur chef présumé, un certain Christian Malanga, ancien militaire de 41 ans résidant aux États-Unis et nostalgique du Zaïre (ancien nom de la RDC) de Mobutu, le dictateur renversé en 1997. Cette affaire pose beaucoup de questions. Mais quelle que soit sa nature exacte, elle aura des conséquences sur plusieurs plans, notamment politique, analyse pour l'AFP Christian Moleka, coordonnateur de la "Dynamique des politologues" (Dypol) de RDC.
Elle risque, selon lui, d'ajouter de la "suspicion" au sein de la nébuleuse de partis soutenant le président, une large plateforme appelée "Union sacrée de la nation". Au pouvoir depuis début 2019, Félix Tshisekedi a été réélu avec plus de 73% des voix dès le premier tour des élections du 20 décembre dernier et ses partisans ont raflé quelque 90% des sièges à l'Assemblée nationale.
Mais cinq mois après, le nouveau gouvernement n'est toujours pas constitué et, en raison de tiraillements entre partis, le choix d'un candidat de la majorité pour présider l'Assemblée nationale n'a pas été simple non plus. Faute de consensus, une primaire a été organisée et remportée, le 23 avril, par Vital Kamerhe qui, une fois élu au "perchoir", deviendra le 2e personnage de l’État.
Ce qui "l'expose davantage", relève Fred Bauma, chercheur et directeur exécutif de l'institut congolais "Ebuteli". Après l'attaque de son domicile, ses partisans ont crié à la "tentative d'assassinat" plutôt qu'à la "tentative de coup d'Etat", version officielle de l'histoire. "Ils sont convaincus que quelqu'un a essayé de l'éliminer, qu'il était la cible", estime Fred Bauma.
"Décisions autoritaires"
Ce coup de force raté peut par ailleurs "légitimer des décisions autoritaires" prises par les autorités "au nom de la sécurité", "un resserrement de l'espace démocratique" dont souffrirait en priorité l'opposition, indique par ailleurs Christian Moleka. Sur le plan de "l'opinion intérieure", les coups d'Etat manqués peuvent "profiter au pouvoir", quand la population resserre les rangs autour des institutions démocratiques menacées. Mais là, beaucoup de Congolais "ne croient pas" à la version officielle et, selon les deux analystes, cet épisode ne renforce donc pas le président Tshisekedi.
Un parti d'opposition a parlé de "simulacre" de coup d'Etat, tandis que de nombreux Kinois estiment que cette affaire vise à occulter leurs problèmes du quotidien, dans un pays dont les immenses richesses minières ne profitent qu'à une petite minorité.
Quant aux conséquences "internationales", "c'est très négatif", juge le coordonnateur de la Dypol. Cela contribue selon lui "à la perception de services de sécurité défaillants, d'un État faible qui ne peut pas garantir la sécurité de ses citoyens". Cette fois, ce ne sont pas des localités de l'Est qui ont été attaquées, mais "la capitale Kinshasa, la Gombe", quartier des ambassades et institutions, rappelle-t-il, en référence aux conflits armés qui déchirent la partie orientale de la RDC depuis 30 ans.
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L'insécurité chronique dans cette région connaît depuis fin 2021 un pic de crise, avec la résurgence d'une rébellion (le M23) qui, soutenue par l'armée du Rwanda voisin, occupe de larges pans de la province du Nord-Kivu. Les Congolais réclament des sanctions contre Kigali mais ne les obtiennent pas et s'estiment trahis par la communauté internationale. Le fait que le coup de force du 19 mai puisse être perçu comme fomenté de l'extérieur risque donc aussi, selon les experts, de "renforcer la méfiance" vis-à-vis des pays étrangers soupçonnés de vouloir "déstabiliser le Congo".