Après trois semaines d'une inhabituelle absence qui a nourri les rumeurs, la nouvelle a été annoncée mercredi soir par la vice-présidente Samia Suhulu Hassan: le président âgé de 61 ans, à la tête du pays depuis 2015, est décédé.
Dès l'annonce, de nombreux habitants de Dar es Salaam confiaient leur "choc".
"Je suis très triste, je souffre parce que nous avions notre leader, notre président que nous aimions et qui nous aimait, nous, les pauvres", confiait Innocent Tionoke, un vendeur de rue. "Il était le président des moins privilégiés", abondait un de ses pairs, Hassan Sayid.
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Elu président en promettant de lutter contre la corruption, John Magufuli aimait à se présenter en "homme du peuple", malgré un doctorat de chimie et des études en Grande-Bretagne.
"Je sais ce que c'est que d'être pauvre", répétait souvent ce père de cinq enfants, né dans le nord-ouest de la Tanzanie, sur les bords du lac Victoria. C'est dans cette zone rurale qu'il a grandi dans une modeste demeure au toit de chaume, surveillant le bétail et vendant du lait et du poisson pour aider sa famille.
Son action en faveur de l'éducation gratuite, l'électrification des zones rurales et ses grands projets d'infrastructures (routes, chemin de fer...) resteront dans les mémoires de nombreux Tanzaniens.
"Je n'ai pas dormi depuis que j'ai appris sa mort hier soir", expliquait jeudi matin Bernard Mathias, en contemplant les unes des journaux d'un stand du quartier Kariakoo: "C'est difficile de remplacer Magufuli qui a favorisé les personnes pauvres, comme moi".
Sur l'étal, les titres des journaux déclinaient leur tristesse en anglais et en swahili: "Nation mourns" (La nation en deuil), "Mtikisiko" (tristesse), "Nenda baba" ("Va, papa")... Les chaînes de télé et radios privées comme publiques diffusaient, elles, programmes d'hommage à Magufuli et chansons tristes.
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"Aucun regret"
Mais ses années au pouvoir ont aussi été marquées par une inflation galopante, peu de créations d'emplois et une politique agressive de collecte des impôts. Il a également mené une féroce répression contre l'opposition, les médias, la société civile, réduit les droits des homosexuels et même des écolières enceintes.
C'est cet aspect que retiendra un commerçant, qui se présente sous le nom de William.
Les politiques de Magufuli "ont tué mes affaires", explique cet homme, pour qui "c'est le moment de faire la fête".
"Aucun regret", lâche-t-il: "Nous avions préparé une vache à tuer et voici le jour que j'attendais (pour le faire). Je ne le pleure pas, je pleure les gens qui sont morts sous son régime".
Célèbre militante pour les droits civiques en Tanzanie, Maria Sarungi n'a pas caché son soulagement.
"Ecrire RIP (acronyme de "Rest in peace", "repose en paix" en français, ndlr) ne me convient pas, je n'aime pas l'hypocrisie. Je dis #ByeMagufuli. C'est tout", a-t-elle écrit sur Twitter.
Ces réactions illustrent la situation de la Tanzanie, plongée dans "une dichotomie entre les problèmes de pain et de beurre et les libertés civiles", comme le décrivait à l'AFP le chercheur à l'Institut d'études de sécurité (ISS) Ringisai Chikohomero avant la présidentielle d'octobre dernier.
"Quelqu'un vous dira +Si j'ai de la nourriture sur la table, si je peux envoyer mes enfants à l'école, si je peux aller travailler, de quelle liberté parlez-vous ?+", résumait-il.
La dernière trace laissée par John Magufuli restera son déni de la présence et de la gravité du Covid-19 et son refus d'imposer des mesures pour endiguer la maladie.
Selon le gouvernement tanzanien, il est mort de problèmes cardiaques, mais le chef de l'opposition, Tundu Lissu, assure, lui, qu'il est selon ses sources mort du coronavirus.
"C'est une justice immanente", a-t-il déclaré dans une interview diffusée jeudi sur la chaîne télévisée kényane KTN: "Le président Magufuli a défié le monde dans la lutte contre le corona (...) Il a défié la science. Il a refusé de prendre les précautions de base recommandées aux gens dans le monde entier contre le corona (...) Et ce qui est arrivé est arrivé. Il est tombé à cause du coronavirus".