Le bilan écorné des "Mambas noires" dans leur lutte pour sauver les rhinocéros

Un ranger marche derrière deux rhinocéros dans un parc protégé près de Marondera, à l'est de la capitale Harare, Zimbabwe, le 20 septembre 2014.

Depuis trois ans, les "Mambas noires" se flattaient de n'avoir subi aucune "perte". Mais la mort ce mois-ci de deux rhinocéros a rappelé aux membres de la seule unité anti-braconnage d'Afrique du Sud exclusivement féminine toute la difficulté de leur tâche.

Les cadavres des deux mammifères, dont une femelle enceinte, ont été retrouvés dans la savane de la réserve de Balule, dans la province de Limpopo (nord) à la lisière du célèbre parc Kruger. Leurs précieuses cornes sciées.

"C'était horrible. Nous nous sommes senties personnellement responsables", se désole auprès de l'AFP Collet Ngobeni, 32 ans, qui participait à la patrouille de "rangers" qui les a découverts.

"Nous devons être mieux préparées. Trois rhinocéros (y compris le futur petit), c'est beaucoup", réagit-elle. "Il y a des gens vraiment cupides qui ne pensent vraiment pas à l'avenir".

Aujourd'hui composée de 36 jeunes femmes âgées de 19 à 33 ans, l'unité des "Mambas noires" a été formée en 2013 avec l'ambition de renouveler les méthodes de lutte contre des trafiquants toujours plus déterminés à satisfaire la demande insatiable de cornes émanant des clients asiatiques.

L'efficacité de leurs patrouilles à pied, leur patient travail de collecte de renseignements ou de sensibilisation des populations locales ont été largement salués.

L'an dernier, les "mambas noires", qui tirent leur nom d'un serpent au venin redoutable, ont remporté un prix prestigieux de l'ONU. Depuis samedi, elles sont aussi les vedettes de la Convention internationale sur le commerce d'espèces sauvages menacées d'extinction (Cites) réunie à Johannesburg.

Chiffres alarmants

Mais les événements survenus sur "leurs" terres de Balule au début du mois ont prouvé, s'il en était encore besoin, que leurs efforts ne suffiraient pas à endiguer le braconnage.

Faite de kératine, la matière première de nos ongles, la corne des rhinocéros est très prisée en Chine ou au Vietnam, où la médecine traditionnelle en a fait un traitement contre une variété infinie de maux allant du cancer aux pannes de virilité.

Elle nourrit un trafic qui a causé la mort de 1.342 mammifères l'an dernier en Afrique, dont près de 1.200 dans la seule Afrique du Sud, selon les statistiques révélées à l'occasion de la Cites.

En 2008, moins d'une centaine de rhinocéros avaient été tués dans le monde pour leur précieux appendice nasal.

La progression est tellement alarmante qu'elle a ouvert un débat très controversé entre certains pays et les ONG de protection de la faune sur l'opportunité de légaliser une partie du commerce de la corne, afin de tarir en partie son trafic.

Frustrée par les difficultés de son unité à endiguer la contrebande, Collet Ngobeni met volontiers en cause le manque récurrent de moyens dévolus à la lutte contre le braconnage.

"Toute l'attention dont nous avons bénéficié ne s'est pas traduite de façon concrète, malheureusement", déplore-t-elle. "Dès que l'on se retire (d'un secteur), les trafiquants reviennent".

"Nos véhicules tombent souvent en panne et nous manquons d'équipements", poursuit cette femme rompue au combat contre les braconniers, "pour maintenir la pression, il faut plus d'entraînement, plus d'argent et plus d'effectifs".

Petits salaires

Les "Mambas noires" sont payées par l'Etat sud-africain, qui leur verse un salaire mensuel de 3.000 à 3.500 rands (200 à 230 euros environ) très faible, même au regard des normes locales.

Leur présence constante sur le terrain leur impose des horaires lourds. Les conditions de vie des jeunes "rangers" ne sont guère plus enviables, contraintes de vivre dans des huttes sans eau courante, télévision ou d'accès à internet...

"D'autres femmes sont prêtes à nous rejoindre, mais nous avons besoin de plus de moyens", insiste l'une d'elles, Felicia Mogakane.

"Si vous voulez vraiment protéger les animaux, il faut des gens sur le terrain pour faire le travail, vérifier tous les jours l'état des clôtures", plaide-t-elle, "si vous n'êtes pas en patrouille, les braconniers le savent tout de suite".

"Les conditions sont difficiles, mais j'aime ça", s'empresse toutefois d'ajouter cette jeune femme de 28 ans.

"Les +Mambas noires+ ont contribué à attirer l'attention sur la crise des rhinocéros", se félicite de son côté Pitso Mojapelo, du département sud-africain des Affaires environnementales.

"Nous leur payons leurs salaires en espérant que d'autres donateurs pourront eux aussi leur venir en aide", ajoute M. Mojapelo: "elles ont prouvé leur efficacité et nous voudrions vraiment renouveler cette expérience ailleurs".

Avec AFP