Discours enflammés, foules en larmes, insultes à des juges, routes bloquées par des pro et anti-Lula, gaz lacrymogènes ou balles en caoutchouc, le Brésil s'est déchiré avec le stupéfiant feuilleton de la reddition, aux allures christiques, de Luiz Inacio Lula da Silva.
"Le climat de polarisation et de radicalisation" au Brésil "nous préoccupe tous", avait averti la semaine dernière le ministre de la Sécurité publique, Raul Jungmann.
Et à l'heure où Lula est en prison, le plus grand pays d'Amérique latine se retrouve encore plus divisé, à six mois d'une présidentielle dont il est le favori.
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"Le Brésil traverse une crise démocratique au sens large, qui révèle un système politique et judiciaire à bout de souffle et soumis à d'extrêmes contradictions et tensions", explique Christophe Ventura, chercheur à l'Iris.
L'incarcération du vétéran de la gauche de 72 ans rebat les cartes d'un scrutin qui s'annonce comme le plus incertain de l'Histoire du Brésil -- et accessoirement menacé par le fléau des "fake news".
Condamné à 12 ans de prison pour corruption, Lula peut-il rester candidat depuis sa prison ? Mener campagne ? Les juristes électoraux se perdent en conjectures.
- "Séquence volatile" -
Mais sa probable inéligibilité oblige toutes les formations politiques à revoir leur stratégie. Quant à son propre Parti des Travailleurs (PT), faute de plan B, il a confirmé la candidature du prisonnier Lula. Mais se déchire lui aussi dans des débats internes.
"Lula prisonnier, cela symbolise la fin du projet (de la gauche), d'une ère", déclare André Cesar, des consultants Hold.
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Qu'ils adulent le "guerrier du peuple" ou vilipendent "le plus grand bandit de l'Histoire", des Brésiliens en plein doute se demandent si une élection peut être démocratique si le favori des sondages est en prison et inéligible.
"Le pays est passé par des moments instables et fous mais là, c'est inédit. Jamais au Brésil un ancien président n'avait été mis en prison sur une condamnation à ce point controversée", dit M. Ventura, qui évoque une absence de "preuve matérielle et juridique".
La Cour suprême, elle-même très divisée, pourrait décider de libérer Lula mercredi -- un nouveau coup de théâtre qui ouvrirait "une séquence totalement incertaine, volatile", selon M. Ventura.
Trois décennies après la fin de la dictature militaire, l'irruption dans le débat du chef des armées a inquiété. Dans un récent tweet, le général Eduardo Villas Bôas a implicitement souhaité la prison pour Lula.
Ces craintes face à l'armée surviennent alors que le président Michel Temer a décrété une intervention militaire aussi controversée qu'inefficace contre la violence qui flambe dans l'Etat de Rio de Janeiro.
Un mois après, l'exécution de la militante noire Marielle Franco, un crime qui avait déclenché la colère des Brésiliens, reste impuni.
Parallèlement, l'enquête tentaculaire anticorruption "Lavage express" qui vaut à Lula la prison, continue, dans sa 5e année, d'ébranler le Brésil. Plus de 100 responsables politiques de 14 partis sont sous enquête.
Les juges anticorruption, à commencer par Sergio Moro, que Lula a qualifié d"'esprit malade" et de "menteur", sont allés plus loin que prévu. Jusqu'au président Temer, accusé de corruption et participation à une organisation criminelle, qui n'a sauvé sa tête que de peu en 2017.
Alors que 13 millions de Brésiliens sont au chomâge, la combinaison de la situation économique et de "l'exposition quasi pornographique à la corruption" est "explosive", avertit le quotidien Folha de S.Paulo.
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Exaspérés, beaucoup de Brésiliens sont prêts à se jeter dans les bras du député d'extrême droite Jair Bolsonaro. Un nostalgique de la dictature, crédité de près de 18% des intentions de vote à la présidentielle, derrière Lula.
- "Tout peut arriver" -
La saga Lula n'a pas fini de polariser le Brésil.
Pour ses partisans, Lula est un "prisonnier politique". Premier ex-président condamné et emprisonné au Brésil, il paierait pour tout le monde.
Pour les autres, il a, sur un mode victimaire, gravement remis en cause les institutions: justice, ministère public -- et la presse.
Dans le climat échauffé des derniers jours, la caravane de Lula a terminé sa campagne dans le Sud sous des jets d'oeufs et de pierres. Puis des tirs.
Pour la suite, "tout peut arriver", dit Christophe Ventura.
Avec AFP