Le cinéma ouest-africain cherche sa voie

Dans les allées du Mica, au Fespaco à Ouagadougou, au Burkina, le 2 mars 2017. (VOA/Issa Napon)

Disparition des salles, faiblesse de la production, manque de financement, qualité en baisse... Le cinéma africain francophone est en pleine crise et les professionnels cherchent à relancer la filière et retrouver un "âge d'or" oublié.

"C'est un cinéma qui marche sur une jambe. Nous sommes dans la pire situation qui soit", résume le réalisateur franco-malien Daouda Coulibaly, dont le film Wùlu a remporté le prix Ousmane Sembène et le prix d'Interprétation masculine au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco).

La filière est sinistrée, privée du soutien des pouvoirs publics qui avait un moment fait sa force. Faible qualité générale, piratage, internet, mauvaise gestion et prix peu attrayants ont tué les salles, remplacées par des supermarchés ou des églises évangéliques.

"Une majorité de pays n'abrite plus aucune salle ou des salles délabrées mais le problème ne se situe pas là", analyse Claude Forest, professeur en études cinématographiques à Strasbourg, et auteur de "Au cinéma en Afrique".

'Pas soigné le malade'

"C'est un symptôme. Il faut reconstruire l'ensemble de la filière. Avec des salles, on veut juste faire baisser la température: on n'a pas soigné le malade", dit-il.

"Ce n'est pas un problème de salles en tant que tel", convient Baba Hama, délégué général du Fespaco pendant une quinzaine d'années. "Il y a trois gros problèmes: "production, distribution et exploitation".

"Il n'y a pas de maison de production digne de ce nom, des maisons qui savent détecter des projets, recruter un réalisateur, un scénariste, des acteurs, faire un plan d'exploitation", explique le délégué.

"Ces trois maillons (production, distribution, exploitation), on en parle à chaque Fespaco mais on ne voit rien émerger", conclut-il soulignant l'importance de la formation, thème de ce 25e festival.

"En Afrique, je vois de belles histoire mais souvent mal portées", regrette l'acteur sénégalais Ibrahima Mbaye.

"Les salaires, ce n'est souvent pas ça et les réalisateurs abusent parfois. Il y a des acteurs qui ne font pas uniquement du cinéma, qui travaillent pour vivre... On fait jouer le cousin ou la cousine, ça pose un problème de qualité", dit-il.

L'actrice malienne Maimouna Hélène Diarra, figure du cinéma africain, dénonce aussi le recours aux "amateurs" au jeu "faible".

L'Afrique est entré dans un cercle vicieux: il n'y a pas de salles parce que qu'il n'y a pas de production et il n'y a pas de production parce qu'il n'y a pas de salles.

"Il faut que l'argent circule", analyse Claude Forest, qui souligne que le problème existe uniquement en Afrique francophone.

"Partout, où des entrepreneurs peuvent faire de l'argent et l'investir, ça fonctionne. Il n'y a pas que Nollywood au Nigeria, il y a l'Ethiopie l'Ouganda, l'Afrique de l'Est, du Sud. Tous ces pays produisent plus de films qu'une partie des pays d'Europe. Et ces films sont rentables parce qu'on les vend sur différents supports: salles, vidéo-clubs, DVD... C'est ce qui manque en Afrique francophone", estime-t-il.

Pour le réalisateur sénégalais Moussa Touré (La pirogue, Etalon de bronze 2013), "dans les pays francophones, l'Etat ne finance plus le cinéma et le secteur privé n'y a presque jamais mis les pieds parce qu'il ne croit pas qu'on puisse en tirer des bénéfices".

Nouvelles salles

"Il faut qu'il y ait un écosystème qui se développe. Il est important de faire émerger une création africaine francophone", précise Jacques Du Puy, président de Canal Overseas.

"Il faut que la filière soit complète de la sortie en salle, jusqu'à l'exploitation sur chaine payante, puis gratuite et en SVOD" (vidéo à la demande).

De nouvelles salles sont en train de naître. Le groupe Vivendi, dont Canal est une filiale, prévoit d'ouvrir 50 salles en Afrique francophone. "En Europe, il y a la télé, internet, les DVD, SVOD... mais les gens continent d'aller dans les salles. Mais si on a des salles non climatisées, de mauvais sièges et un son qui grésille, les gens restent chez eux", poursuit Jacques Du Puy.

"C'est un marché encore embryonnaire. Il a du mal à se distribuer et se diffuser parce qu'il y a encore très de peu de salles de cinéma, que la VOD dans beaucoup de pays est embryonnaire. C'est un marché qui nait", souligne David Kessler, directeur d'Orange Studio qui se veut optimiste.

"C'est difficile de faire une grosse production, uniquement sur des ressources locales mais on peut l'envisager", ajoute le cinéaste Daouda Coulibaly : "C'est tout un écosystème qu'on doit créer. Les Africains peuvent faire des grands films. J'espère que personne ne doute de ça".

Avec AFP