Le groupe État islamique muet sur le massacre en Egypte

Funérailles de Mohammed Taha Hassan Bakhit et Bassam Hindawi, deux victimes d'une attaque au mortier contre un poste de contrôle au sud de la capitale provinciale du Sinaï Ismailiya, Egypte, 20 mars 2016.

Le mutisme du groupe Etat islamique (EI) au sujet du carnage dans une mosquée du Sinaï, perpétré vendredi par des hommes arborant sa bannière noire, suscite des interrogations au moment où ce massacre est dénoncé même par des partisans.

Près d'une semaine après l'attaque la plus meurtrière de l'histoire récente de l'Egypte, qui a fait 305 morts, l'organisation jihadiste, parfois prompte à revendiquer ses attentats, ne s'est pas manifestée.

Dimanche, la branche égyptienne de l'EI n'avait pourtant pas tardé à revendiquer une attaque contre l'armée commise la veille à Rafah, également dans le Nord-Sinaï, une région où elle mène une insurrection contre les forces de sécurité.

Selon des responsables et des analystes, le silence de l'EI sur le carnage dans cette mosquée fréquentée par des soufis, adeptes d'un courant mystique de l'islam et considérés comme des hérétiques par les jihadistes, montre que l'EI est allé trop loin, même selon les critères extrémistes.

Tous les groupes jihadistes actifs en Egypte, dont Jund al-Islam au Sinaï, lié à Al-Qaïda, ont condamné le massacre.

Des partisans de l'EI étaient même furieux sur les réseaux sociaux après la diffusion, sur des canaux Telegram pro-Al-Qaïda, d'un présumé enregistrement audio dans lequel un jihadiste de l'EI se vantait de l'attaque.

Dans le déni

L'EI, dont des membres s'étaient déplacés à la mosquée avant l'attaque pour avertir de ne plus tenir de rituels soufis, selon un cheikh soufi, avait déjà ciblé des lieux de culte musulmans, généralement chiites, des soufis et des chrétiens.

En mai à Manchester (Royaume-Uni), les jihadistes ont perpétré un attentat lors d'un concert de la chanteuse pop Ariana Grande, tuant des enfants et adolescents.

A l'époque, le jihadiste britannique Omar Hussein avait déclaré à l'AFP que le meurtre de jeunes "mécréants" ne lui donnait pas mauvaise conscience.

"S'agissant du meurtre de petites filles, il est permis de tuer les koufars (les infidèles) dès lors qu'ils nous tuent", avait-il dit par écrit à l'AFP.

Mais l'attaque de la mosquée au Sinaï, bondée à l'heure de la grande prière hebdomadaire et qui a coûté la vie à au moins 27 enfants, semble avoir été celle de trop pour des partisans de l'EI, dont certains semblent dans le déni.

Un jihadiste qui défend régulièrement les atrocités de l'EI a carrément nié l'implication de l'organisation ultraradicale sunnite.

"Pas du tout, votre analyse est erronée, vous avez été influencé par les médias", a-t-il écrit dans un message à l'AFP.

"Une chose de cette ampleur, qui a tué plus que +juste des soufis+ sera difficile à justifier", estime l'analyste Amarnath Amarasingam, chercheur à l'ISD Global.

La branche égyptienne de l'EI a tué des centaines de membres des forces de sécurité depuis le début de son insurrection. Elle a aussi ciblé des civils, tuant notamment des dizaines de chrétiens.

"Cela semble correspondre à un changement progressif (de stratégie) au cours des quatre dernières années", remarque un responsable occidental sous le couvert de l'anonymat.

L'Egypte est passée "d'une campagne violente très locale menée par les terroristes du Sinaï(...), qui au début ont veillé à ne pas s'aliéner la population locale (...), à quelque chose qui semble beaucoup plus influencé par les motivations internationales" et idéologiques de l'EI, dit-il.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a prévenu que des combattants étrangers de l'EI tenteraient de s'installer dans la région à mesure qu'ils perdent du terrain en Irak et en Syrie, où ils sont quasiment défaits militairement.

Diable et tyrans

Il est "possible que l'attaque ait été coordonnée sans accord central, d'où l'absence de revendication", suggère un autre responsable occidental, accréditant l'idée d'une initiative locale de jihadistes de plus en plus pressés par les forces de sécurité dans le Sinaï.

L'attaque était peut-être aussi destinée à envoyer un message aux soufis et aux villageois considérés comme progouvernementaux, sans qu'elle soit destinée à recevoir l'imprimatur de l'EI.

Spécialiste de l'EI, Hassan Hassan explique que les jihadistes avaient qualifié dans une publication les soufis de "taghouts", mot utilisé dans le Coran pour décrire le diable et les tyrans.

"Plus rien n'est interdit dès lors qu'ils les appellent taghouts", assure M. Hassan, chercheur au Tahrir Institute for Middle East Policy.

Mais des combattants de l'EI qui sont allés trop loin, ont déjà été punis par l'organisation, ajoute-t-il.

"Quand les Al-Shaitat ont été tués, ils ont limogé les (assaillants)", dit-il, en référence au massacre de 700 membres de cette tribu de l'est de la Syrie en 2014.

Il semble peu probable que l'EI puisse encore revendiquer l'attaque de la mosquée. En juin, le groupe extrémiste avait toutefois mis trois semaines pour revendiquer une attaque contre des militaires près du Caire, via le canal inhabituel de sa lettre hebdomadaire Nabaa.

Avec AFP