Quatre candidats sont en lice pour la fonction suprême, dont l'actuel vice-président William Ruto, et Raila Odinga, ancien leader de l'opposition désormais soutenu par le pouvoir. Les avocats David Mwaure et George Wajackoyah – un ancien espion excentrique qui veut légaliser le cannabis – sont également dans la course, mais la présidentielle s'annonce comme un duel, serré, entre Ruto et Odinga.
Lire aussi : Six mois de campagne électorale tout-terrain au Kenya"Il est très difficile de dire qui va gagner l'élection, c'est à pile ou face pour celui qui sera le plus attirant émotionnellement", affirme à l'AFP l'universitaire et analyste Macharia Munene.
Les deux favoris, dont les portraits s'étalent sur d'immenses panneaux à travers tout le pays, sont des visages bien connus des Kényans. Odinga, 77 ans, est un vétéran de la lutte démocratique, qui a connu la prison avant d'accéder à la Primature (2008-2013) et qui se présente à la présidence pour la cinquième fois.
Ruto, 55 ans, occupe la vice-présidence depuis près d'une décennie et s'était vu promettre par le président sortant Uhuru Kenyatta de lui succéder en 2022. Mais une alliance inattendue entre Kenyatta et Odinga l'a marginalisé à partir de 2018.
Aujourd'hui, dans un retournement de situation typique de la très versatile politique kényane, Odinga est soutenu par l'appareil étatique tandis que Ruto fait figure de challenger du pouvoir. La victoire du premier, un Luo, ou du second, un Kalenjin, ouvrira quoi qu'il en soit une nouvelle page après plus de vingt ans de présidences kikuyu, la première et très influente communauté du pays.
Coût de la vie
Ces manoeuvres politiciennes ont alimenté une certaine apathie au sein de la population, notamment chez les jeunes, moins nombreux qu'attendu à s'inscrire sur les listes électorales. Au total, les 22,1 millions d'électeurs devront voter six fois mardi pour choisir leur président, mais aussi leurs parlementaires, gouverneurs et quelque 1.500 élus locaux.
Mais pour beaucoup, "la politique ne semble pas résoudre les problèmes", estime le chercheur indépendant en politique publique Alex Awiti. "Le prochain président, le prochain sénateur, le prochain gouverneur fera juste la même chose" que son prédécesseur, ajoute-t-il à propos de la désillusion des électeurs dans ce pays notamment miné par la corruption.
Odinga a fait de la lutte contre ce fléau sa priorité, nommant comme colistière Martha Karua, une ancienne ministre réputée inflexible, et dénonçant les procédures judiciaires en cours contre le colistier de Ruto, Rigathi Gachagua.
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En face, Ruto, sulfureux homme d'affaires parti de rien, se pose en champion des petites gens, leur promettant aides et emplois quand trois Kényans sur dix vivent avec moins de 1,90 dollars par jour selon la Banque Mondiale. Le thème du pouvoir d'achat est devenu majeur dans cette locomotive économique régionale secouée par les conséquences du Covid-19, de la guerre en Ukraine et d'une grave sécheresse.
Derrière son petit kiosque à légumes dans une rue de Nairobi, Peter Kibacia constate avec dépit que les clients achètent moins qu'avant en raison de l'explosion des prix alimentaires. "Personne n'économise en ce moment", affirme cet homme de 40 ans, père de trois enfants.
Dans ce contexte, l'enjeu économique pourrait même, selon certains experts, supplanter cette année le vote tribal, un facteur-clé depuis toujours dans les isoloirs kényans.
Spectre de violences
Quinze ans ont passé depuis les violences post-électorales de 2007-08 qui avaient fait plus de 1.100 morts principalement dans des affrontements entre Kikuyu et Kalenjin. Mais cette blessure profonde continue de faire peser le spectre de nouvelles violences sur le Kenya, un îlot de stabilité démocratique dans une région tourmentée.
Lors de la dernière présidentielle, en 2017, la contestation des résultats par Raila Odinga avait débouché sur une sévère répression policière, faisant des dizaines de morts. Depuis vingt ans, chaque élection a été contestée - jusque devant la Cour Suprême en 2013 et de 2017. Ce dernier avait même été annulé en raison d'"irrégularités" – une première en Afrique.
La Commission nationale de cohésion et d'intégrité, un organisme de promotion de la paix créé après 2007-08, a estimé dans un récent rapport à 53% la probabilité de violences au cours de la période électorale. Des sources diplomatiques ont affirmé à l'AFP être confiantes dans le fait que le calme prévaudra le jour du scrutin.
Les écoles, qui accueillent la plupart des bureaux de vote, sont d'ores et déjà fermées et une grande enseigne de supermarchés a invité les clients à faire des provisions. "C'est précaire (...) Mais nous allons prier pour une élection pacifique", estime de son côté Suzana Napwora, une étudiante de 22 ans qui votera mardi pour la première fois.