Avec ses dizaines de conteneurs amassés sur une plateforme inondée de soleil et ses quelques grues transbordant depuis des cargos rouillés du sorgho, entre autres, le port de Berbera n'a pas encore la modernité à laquelle il prétend.
Mais, situé à l'entrée du détroit de Bab-el-Mandeb, quatrième passage maritime mondial pour l'approvisionnement énergétique, il fait de grands rêves depuis la signature en mars d'un accord tripartite entre le Somaliland, le géant émirati de l'industrie portuaire DP World et l'Éthiopie.
Cet accord donne 51% des parts à DP World, 30% au Somaliland et 19% à l'Éthiopie. DP World a prévu d'investir 442 millions de dollars (377 MEUR) pour moderniser le port.
La construction d'une première extension de 400 m doit débuter en octobre et durer 24 mois. Une zone franche, située à 15 km du port et censée être achevée en même temps, est aussi prévue.
"Les bénéfices que nous attendons du développement du port, ce sont des emplois", explique à l'AFP Saad Ali Shire, ministre des Affaires étrangères de la République autoproclamée du Somaliland.
"Nous nous attendons à ce que de nombreux investisseurs étrangers viennent à la zone franche et génèrent de l'emploi et des revenus. En gros, c'est du développement et des emplois que nous cherchons", ajoute-t-il.
L'arrivée de DP World - l'accord avait été conclu dès 2016, avant d'être finalisé cette année - a été un "choc culturel" pour les gens du port, concède Said Hassan Abdullahi, directeur général de l'Autorité des ports somalilandais.
- Accès à la mer -
Depuis, le volume de conteneurs transitant par Berbera a déjà doublé à plus de 100.000 TEU (unité de mesure des conteneurs) par an. Et une fois les travaux achevés, M. Abdullahi prévoit qu'il quintuplera à nouveau.
Il se rapprochera alors du volume de conteneurs passant par les ports de Djibouti (987.000 TEU en 2016).
Le voisin éthiopien, avec son marché de plus de 100 millions d'habitants, cherche à diversifier ses accès à la mer avec le Somaliland, l'Érythrée - dont elle vient de se rapprocher spectaculairement -, le Kenya ou encore le Soudan.
Privée d'accès direct à la mer depuis l'indépendance de l'Érythrée en 1993, l'Éthiopie a longtemps dépendu du seul Djibouti, par lequel passent plus de 95% de ses importations et exportations.
Mais le Somaliland, qui a évité de sombrer dans l'anarchie que connaît la Somalie, peut rêver de rivaliser un jour. Il est "bien placé pour avoir un rôle plus influent sur les questions économiques et commerciales", estime Ahmed Soliman, chercheur à l'institut britannique Chatham House.
L'accord avec DP World a suscité l'ire de Mogadiscio, car il donne du poids à la quête par le Somaliland d'une reconnaissance internationale. Il s'est déclaré indépendant du reste de la Somalie en 1991, mais n'est officiellement reconnu par aucun pays.
Cela "a affecté" le dialogue avec la Somalie, qui devait reprendre au printemps après une longue interruption, reconnaît M. Shire, tout en se disant toujours prêt "à parler avec eux et résoudre nos divergences paisiblement autour d'une table".
- Lutte d'influence -
Cet accord n'est qu'une des facettes de l'engagement croissant des Émirats arabes unis (EAU), et de leur allié saoudien, dans la région. "La Corne de l'Afrique est devenue plus importante ces trois dernières années environ pour les intérêts stratégiques des pays du Golfe", observe M. Soliman.
Le Somaliland a aussi attribué aux Émirats une concession de 25 ans pour construire une base militaire à Berbera. Ceux-ci pourraient l'utiliser dans le cadre de la guerre qu'ils mènent au Yémen avec l'Arabie saoudite contre les rebelles houthis, soutenus par l'Iran. Comme ils le font avec leur base à Assab en Erythrée.
"La guerre au Yémen (...) est un moteur clé de l'engagement dans la Corne de l'Afrique", souligne M. Soliman. "Et la rivalité irano-saoudienne en terme de routes maritimes dans le golfe d'Aden en est également un important moteur."
Le Somaliland est ainsi entré de plain pied dans la lutte d'influence que se livrent dans la région ces pays, mais aussi d'autres acteurs majeurs comme la Turquie et son allié le Qatar, dont la brouille avec ses voisins du Golfe apparaît aussi en toile de fond.
En juin 2017, quatre pays arabes, les Émirats, l'Arabie saoudite, Bahreïn et l'Égypte, ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, l'accusant de liens avec des groupes extrémistes - ce que Doha dément - et de se rapprocher de l'Iran.
Certains Somalilandais s'inquiètent du prix que pourrait avoir à payer leur pays. Mais M. Shire balaye l'argument: "Bien sûr, avoir des forces étrangères sur votre sol présente toujours un risque. Mais nous pensons que les bénéfices sont plus élevés que les risques."
Avec AFP