Le président Essebsi accentue sa mainmise sur le gouvernement en Tunisie

Le président tunisien Beji Caid Essebsi lors d'un discours devant le congrès du mouvement Ennahdha à Tunis, Tunisie, le 20 mai 2016.

Béji Caïd Essebsi a accentué sa mainmise sur le gouvernement lors du récent remaniement opéré par son Premier ministre Youssef Chahed, qui doit obtenir lundi la confiance du Parlement, à l'approche d'échéances électorales.

Issu du parti Nidaa Tounès fondé en 2012 par le chef de l'Etat, M. Chahed, plus jeune chef de gouvernement de l'histoire moderne du pays, devait aisément emporter le vote des députés, prévu en début de soirée: sa formation et les islamistes d'Ennahdha sont majoritaires au Parlement et alliés au gouvernement.

Devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), Youssef Chahed a de nouveau parlé d'un "gouvernement de combat" chargé de continuer à mener "la guerre contre le terrorisme, contre la corruption, pour la croissance, contre le chômage et les inégalités régionales".

C'est pour "renforcer les capacités de notre pays en matière de lutte contre le terrorisme, contre le crime organisé et la contrebande" que de nouveaux ministres de l'Intérieur et de la Défense ont été nommés, a-t-il fait valoir.

"De nombreux indicateurs économiques se sont améliorés", a dit M. Chahed, citant les investissements étrangers, la production de phosphate et le tourisme.

Mais cette "amélioration relative" est "partielle et nous ne devons pas nous en contenter. Le chemin est encore long", a averti Youssef Chahed, en expliquant que la nouvelle composition de son gouvernement respectait "l'union nationale" nécessaire au lancement de grandes réformes.

'Ficelles'

Mais pour des observateurs, si le gouvernement remanié n'a pas bousculé les équilibres politiques en vigueur entre Nidaa et Ennahdha notamment, il marque une accentuation de l'emprise du chef de l'Etat sur l'exécutif, à quelques mois des premières municipales post-révolution et à deux ans des législatives et présidentielle.

La nouvelle équipe compte des hommes réputés de confiance du président et consolide la présence de Nidaa Tounès, qui avait porté Béji Caïd Essebsi à la victoire en 2014.

Le nouveau ministre des Finances Ridha Chalghoum -ex-ministre du dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali- était conseiller de M. Essebsi, tout comme le nouveau titulaire de la Santé, Slim Chaker. Celui de la Défense, Abdelkrim Zbidi, occupait ce même poste lorsque M. Essebsi était Premier ministre en 2011.

Béji Caïd Essebsi, 90 ans, "place ses hommes", a résumé le journal francophone Le Quotidien, pour lequel il est évident que "c'est le président qui tire les ficelles".

Interrogé par l'AFP, l'analyste indépendant Selim Kharrat nuance: M. "Essebsi avait les choses (déjà) en main bien avant ce remaniement (...). La seule différence, c'est que c'est beaucoup plus flagrant (...) et que la présidence s'en cache à peine".

A ce jour, le président n'a donné aucune indication sur ses intentions au terme de son mandat de cinq ans, en 2019. Parmi ses détracteurs, de nombreuses voix s'inquiètent des prétentions de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, lui-même dirigeant influent de Nidaa Tounès.

Dans un pays encore marqué par des décennies de dictature, plusieurs partis et personnalités ont en outre critiqué l'entrée au gouvernement d'anciens ministres de Ben Ali.

'Insuffisances'

Le jour-même du remaniement, Béji Caïd Essebsi a appelé dans un entretien à deux quotidiens nationaux à revoir le système politique post-révolution, qu'il accuse de "paralyser pratiquement l'action du gouvernement".

"Il est temps d'évaluer le système constitutionnel en vigueur dans le but d'en rectifier les insuffisances et de surmonter les obstacles contenus dans la Constitution", a-t-il affirmé.

Adoptée début 2014 et saluée comme un succès de la transition démocratique, cette nouvelle Constitution a renforcé les pouvoirs du chef du gouvernement afin de rompre avec le régime présidentiel ayant prévalu depuis l'indépendance en 1956.

Dans le même temps, dans un contexte pré-électoral -les municipales sont prévues dès décembre-, l'enjeu pour le gouvernement "Chahed 2" sera de prouver sa capacité à rompre avec les désillusions et l'instabilité observées depuis la révolution de 2011.

Or, le septième chef de gouvernement de l'après-révolution est "pris dans l'étau des partis, qui ne cesse de se resserrer" à l'approche des élections, estime Selim Kharrat.

Le député de l'opposition, Adnène Hajji, a pour sa part jugé creux le discours de M. Chahed devant l'ARP. "Il parle d'un nouveau modèle de développement. Qu'attend-il (pour le mettre en place)?", a dit l'élu à l'AFP.

Avec AFP