"On passe nos journées à fumer. C'est notre vie maintenant", se lamente Kassem, du haut d'un mirador ombragé qui surplombe un parking, où des milliers de voitures dorment sous la poussière de l'harmattan. Même bradées, elles ne trouvent pas acheteurs.
Comme l'immense majorité des concessionnaires implantés au Bénin, les amis sont tous d'origine libanaise. Cet après-midi, ils ont fait venir leur comptable béninois pour les aider à fermer la boutique. Les dettes s'accumulent. Le stress, aussi.
"J'ai perdu en un an ce que j'ai gagné en 16 ans", explique Ali Assi.
Sur les 2.500 concessionnaires libanais de Cotonou, 1.600 sont partis ces six derniers mois. Chacun employait des dizaines de chauffeurs, laveurs de voitures, vendeurs, publicitaires...
"Ça nourrit beaucoup d'hommes, les jeunes sans emploi venaient ici pour trouver du travail", regrette Vincent Gouton, coordinateur du collectif des gestionnaires des parcs de voitures de Cotonou.
Le marché automobile a commencé sa chute libre l'année dernière, alors que le voisin nigérian est entré en récession. Ce marché géant de 190 millions d'habitants représente "99% des exportations de voitures" au Bénin, un pays sans ressources naturelles qui survit économiquement grâce à son port, d'où sont importés voitures, tissus, riz,.. de Chine, d'Europe ou des Etats-Unis avant d'être redistribués dans la sous-région.
Mais depuis que le naira nigérian s'est effondré avec la chute du prix du pétrole et que le pouvoir d'achat est au plus bas à cause d'une inflation galopante, le petit Bénin est frappé de plein fouet par la pire crise économique de l'histoire du Nigeria.
La politique de protectionnisme imposée par le président nigérian Muhammadu Buhari n'a fait qu'aggraver la situation.
"Cette décision va encourager la contrebande, c'est un retour à la case départ", regrette Vincent Gouton.
Plusieurs accords commerciaux ont été signés par le passé pour faciliter le commerce légal entre les deux pays, mais le Nigeria reproche notamment aux douanes béninoises de ne pas assez surveiller les marchandises exportées, souvent par des petits agents du secteur informel, et de fait, de ne pas récupérer les taxes, vitales en ces temps de récession.
M. Buhari espère, en fermant ses frontières terrestres, dynamiser les industries nigérianes et le port de Lagos, ultra-congestionné et ultra-corrompu. Riz, huile de palme, voitures, une vingtaine de produits - la liste n'a jamais été officiellement publiée - sont désormais interdits à l'importation par les frontières terrestres.
Une politique économique "contraires aux lois du marché", selon Nonso Obikili, économiste nigérian, qui est contre-productive. "La réalité est que l'autosuffisance est impossible, sauf si l'on veut s'appauvrir", assène-t-il.
"Le gouvernement veut interdire l'huile de palme, mais nos plantations ne sont pas prêtes à répondre à la demande locale, et il faut 24 mois pour qu'un arbre puisse produire de l'huile. Ça n'a pas de sens", explique le consultant pour Economic Research Southern Africa. "Cela va encourager le commerce illégal et le marché noir."
Et avec le marché noir, ce sont les prix des biens courants qui ne cessent d'augmenter.
Sur la grande route Ibadan Expressway, à la sortie de Lagos, mégalopole économique du Nigeria, Olabanji Akinola a du licencier la moitié de ses employés la semaine dernière. Il ne pouvait plus payer leur salaire, confie-t-il, dépité.
"Les taxes du port de Lagos sont deux fois plus élevées qu'à Cotonou. Cette décision va juste relancer la contrebande: il existe 200 routes à travers le bush pour venir au Nigeria, les frontières sont poreuses", regrette M. Akinola. "Ce matin, des clients m'ont supplié à genoux de baisser mes prix, mais je ne peux pas. Ils sont partis. Ça tue le business."
Le gouvernement nigérian est finalement le seul à bénéficier de cette interdiction. En 2016, les douanes ont saisi 307 véhicules de contrebande, pour une valeur de près de 5 milliards de nairas (environ 15 millions d'euros). Un chiffre qui devrait encore augmenter en 2017.
Avec AFP