Les Afro-urugayens marginalisés dans le pays de l'inclusion sociale en Amérique latine

L'athlète olympique uruguayenne Deborah Rodriguez à Montevideo, le 26 septembre 2020.

"Enfant et adolescente, on me traitait de 'noire de merde' et j'ai dû faire face à ça toute ma vie", déplore la spécialiste du 400 m et du 800 m, Déborah Rodriguez, 28 ans, qui s'entraîne dans son Uruguay natal.

La championne sud-américaine qui a participé aux JO de 2012 et 2016 ne s'entraîne plus aux Etats-Unis en raison de la pandémie. En ce printemps austral, elle court sur une piste humide, les boucles frisées de ses cheveux serrées par un bandeau alors qu'il y a quelques mois encore elle arborait une longue chevelure raide.

"J'ai eu besoin de me faire couper les cheveux pour revenir à mes origines, retrouver mon identité", avoue l'athlète qui défrisait ses cheveux "depuis l'âge de 12 ans".

L'Uruguay est l'un des pays d'Amérique du Sud qui présente les meilleures statistiques en matière d'inclusion sociale. Les taux d'inégalité et de pauvreté sont les plus bas d'Amérique latine et des Caraïbes.

Cependant, une récente étude de la Banque mondiale souligne que les Afro-uruguayens, la plus grande minorité qui représente 8,1 % des 3,45 millions d'habitants selon le dernier recensement en 2011, "sont plus susceptibles d'être exclus" et que la pauvreté les touche deux fois plus que la moyenne nationale.

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Leur salaire est inférieur de 11% à travail égal, et ils ont 20% de chances en moins de terminer leurs études secondaires.

La modèle et féministe Romina di Bartolomeo, 29 ans, dit s'être toujours efforcée de se conformer aux normes de beauté afin de satisfaire ses employeurs.

Comme la sprinteuse Déborah Rodriguez elle avait "l'habitude de (se) lisser les cheveux" mais a décidé de laisser admirer ses belles boucles frisées, assise dans le local de radio où elle anime une émission consacrée à la plena, un style de musique caribéenne qui la passionne.

Selon German Freire, du service développement social à la Banque mondiale, les jeunes Afro-uruguayens n'ont pratiquement aucun référent de leur communauté dans les hautes sphères du pays : "si vous êtes un jeune garçon il est plus facile de se projeter comme futur footballeur que de servir dans les milieux universitaire ou politique. Cela prédéfinit votre chemin", estime-t-il.

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"Raciste"

Au Parlement uruguayen, il a fallu près de deux siècles avant qu'une personne d'origine africaine ne siège, en 2005. Au Sénat, c'est en 2020 que Gloria Rodriguez a été la toute première à se hisser jusqu'à la Chambre haute.

Malgré les progrès réalisés dans la reconnaissance des droits des personnes d'origine africaine, la sénatrice du parti présidentiel de Luis Lacalle Pou estime que l'Uruguay est, dans la pratique, loin d'avoir comblé le fossé.

"Les droits sont acquis. Mais il faut encore qu'ils soient effectifs. Aujourd'hui encore, nous portons sur nos épaules le poids de l'esclavage", estime-t-elle.

Après la colonisation, Montevideo est devenu, sur ordre de la Couronne espagnole, le seul point d'entrée des esclaves à la vice-royauté du Rio de la Plata et à la vice-royauté du Pérou.

Lorsque l'Uruguay a aboli l'esclavage (1842), près d'un siècle après l'arrivée du premier chargement d'esclaves sur ses côtes, de nombreux autres ont été introduits illégalement depuis le Brésil.

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Selon Amanda Diaz, cheffe du département des afro-descendants du ministère du Développement social, être noir en Uruguay "a une connotation négative". Elle juge que son pays est " extrêmement raciste" mais se le cache derrière des slogans du type "nous sommes tous égaux".

En Uruguay, il est courant de se référer sans retenue aux traits physiques pour interpeler autrui, en lançant sans modération des "noir", "gros", "mince", tantôt avec affection mais parfois aussi avec mépris.

La semaine dernière, l'attaquant uruguayen du club anglais de Manchester united, Edinson Cavani, a été critiqué pour avoir appelé un ami "negrito" sur les réseaux sociaux, "un salut affectueux" a assuré Cavani qui a néanmoins présenté ses excuses et retiré son message.

Neuf ans plus tôt, son coéquipier à la pointe de l'attaque de la sélection nationale, Luis Suarez, avait été sanctionné pour avoir traité le Français Patrice Evra de "nègre" sur un ton particulièrement désobligeant.