Une faction dure du mouvement des talibans pakistanais a revendiqué l'attaque qui a fait 72 morts dimanche, assurant que sa cible était les chrétiens, et menaçant d'autres attentats à l'avenir.
Des représentants de la communauté chrétienne ont fait part du mauvais pressentiment qui les habitait depuis que le gouvernement avait pendu Mumtaz Qadri, un islamiste radical ayant tué Salman Taseer, un homme politique favorable à une réforme de la loi controversée sur le blasphème.
"La communauté chrétienne s'attendait à un retour de bâton après l'exécution de Qadri, surtout à l'occasion de fêtes religieuses telles que Pâques", estime Shamoon Gill, militant chrétien et porte-parole d'une organisation de défense des minorités. "Nous craignions que quelque chose n'arrive".
Ces craintes n'ont fait qu'augmenter lorsque les islamistes ont organisé le jour de Pâques des prières commémoratives pour Mumtaz Qadri, pendu le 29 février et salué comme un héros par une frange conservatrice de la société.
Dans leur revendication, les talibans n'ont pas mentionné l'extrémiste pendu.
Mais l'attentat est intervenu au moment même où des heurts opposaient la police à des milliers de partisans de Qadri à Islamabad, réclamant l'application de la loi sur le blasphème et l'exécution d'une chrétienne condamnée pour de tels faits, Asia Bibi.
"Des manifestants réclament qu'un assassin (Qadri, NDLR) soit considéré comme un héros de la nation, et le gouvernement les laisse s'exprimer", s'est insurgé Cecil Shane Chaudhry, directeur de la Commission nationale Justice et Paix, une ONG chrétienne, accusant les autorités de "s'agenouiller devant les extrémistes".
Le pape François a demandé lundi aux autorités du Pakistan de tout faire pour assurer la sécurité de la population et en particulier de la minorité chrétienne, qualifiant l'attentat d'"exécrable".
- Persécutions et discrimination -
L'attaque de Pâques est la dernière en date "d'une longue série de persécutions des chrétiens dans le pays", déplore le défenseur des droits de l'Homme Hussain Naqi.
Les chrétiens sont régulièrement pris pour cible par des extrémistes, notamment en 2013 à Peshawar, quand un double attentat-suicide dans une église avait fait 82 morts.
Ils subissent également une discrimination quotidienne dans le monde du travail, et vivent sous la menace d'être accusés de blasphème, un chef d'accusation souvent détourné pour régler des comptes personnels, selon les défenseurs des droits de l'Homme.
Le blasphème est passible jusqu'à la peine de mort au Pakistan, République islamique de 200 millions d'habitants, dont 1,6% à 2% sont des chrétiens.
De simples accusations peuvent déclencher des lynchages.
"Nous transmettons à nos enfants une histoire déformée, ou plutôt fausse, dans laquelle le mollah est pieux et les minorités sont mauvaises, et c'est une tendance très dangereuse", a souligné M. Naqi.
"Ce n'est pas seulement un problème pour les chrétiens, c'est la même chose pour les Hindous et les Ahmadis, et c'est pourquoi ils font tout ce qu'ils peuvent -- que cela soit légal ou non -- pour quitter le pays".
Une opinion partagée par M. Chaudhry.
"Il y a un sentiment d'insécurité grandissant au Pakistan, et quiconque n'est pas musulman n'est pas en sécurité dans ce pays", a-t-il ajouté.
Des militants ont déploré que les autorités cherchent selon eux à sous-estimer les menaces visant la communauté chrétienne.
"La cible n'était pas les chrétiens en particulier", a ainsi affirmé à l'AFP un haut responsable de la police, Haider Ashraf, soulignant que beaucoup de victimes de l'attaque de dimanche étaient musulmanes.
M. Naqi a accusé le gouvernement d'être dans le déni au sujet des menaces, et d'"essayer de minimiser l'attaque, pour dissimuler sa propre incapacité à protéger les chrétiens et les minorités".
Lundi, environ 3.000 partisans de Mumtaz Qadri étaient toujours rassemblés à proximité des principales institutions pakistanaises dans la capitale.
Ils réclament notamment la pendaison d'Asia Bibi, une chrétienne mère de cinq enfants qui est dans le couloir de la mort depuis sa condamnation pour blasphème en 2010.
Avec AFP