Les critiques du régime réduits au silence avant la présidentielle aux Comores

Le président des Comores, Azali Assoumani, dans un bureau de vote lors du référendum constitutionnel, à Mitsoudje, Comores, 30 juillet 2018

Aux Comores, les voix discordantes se taisent les unes après les autres. Opposants, écrivains ou militaires sont arrêtés et les médias ramenés dans le rang par le président Azali Assoumani, accusé de vouloir prolonger son règne "coûte que coûte".

En juillet, le chef de l'État a vu ses pouvoirs renforcés lors d'un référendum boycotté par l'opposition. Un plébiscite, avec 92,74% de "oui".

La Constitution amendée l'autorise désormais à accomplir deux mandats consécutifs au lieu d'un. Élu en 2016 pour cinq ans, il entend convoquer dès 2019 une présidentielle anticipée qui remettrait les compteurs électoraux à zéro et l'autoriserait, en cas de succès, à se maintenir à la tête du pays jusqu'en... 2029.

Le référendum constitue la "plus scandaleuse mascarade électorale de ces dernières années", s'est écrié le Collectif de la troisième voie, organisation de la société civile.

Le taux de participation, officiellement affiché à 63,9%, a fait bondir l'opposition. "Les bureaux de vote étaient déserts mais les urnes pleines. Une vraie République bananière", a dénoncé l'ancien vice-président Mohamed Ali Soilihi.

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Ce scrutin a ravivé les tensions dans l'archipel de l'océan Indien, théâtre de nombreux coups d'État.

Le dernier remonte à 1999, quand un certain colonel Azali, alors chef d'état-major de l'armée, avait pris pour la première fois le pouvoir. Il l'avait ensuite cédé en 2006 avant d'être élu démocratiquement en 2016.

Depuis le référendum, la police a multiplié les arrestations. "Plus d'une vingtaine", comptabilise le ministre de l'Intérieur Mohamed Daoudou. "Ce sont des affaires différentes mais toutes sont liées au même objectif" de déstabilisation du pays, affirme-t-il.

- "Complot" -

Depuis la mi-août, le siège du Juwa, le principal parti d'opposition, est fermé et scellé.

Six de ses dirigeants, dont l'ex-président du pays Ahmed Abdallah Sambi et son porte-parole Abdou Chakour, sont en résidence surveillée ou derrière les barreaux en attendant d'être jugés.

"Depuis le 28 août, je n'ai pas pu m'entretenir librement avec mon client. Il y a toujours un gendarme affecté pour écouter", se plaint l'avocat de M. Sambi, Ahamada Mahamoudou.

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Cinq autres personnes, dont le chef d'état-major adjoint de l'armée, le colonel Ibrahim Salim, ont été interpellées le mois dernier pour "acte terroriste" et "complot".

Accusé dans le même dossier, l'écrivain Saïd Ahmed Saïd Tourqui est détenu à l'isolement.

Des personnalités menacées de les rejoindre ont préféré prendre la fuite. Sous le coup d'un mandat d'arrêt international pour "attentat" et "complot", l'ex-vice-président Djaffar Said Ahmed Hassane s'est réfugié, selon ses proches, en Tanzanie.

Les opposants restés aux Comores ont opté pour le silence. "On a trop peur de se faire arrêter", expliquent sous couvert de l'anonymat à l'AFP plusieurs d'entre eux.

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Les médias n'échappent pas à cette mise au pas. Une vingtaine de radios ont été fermées, le directeur du journal gouvernemental El-Watan, Ahmed Ali Amir, rétrogradé au rang de journaliste, et une rédactrice du journal, Faïza Youssouf, limogée.

- "Climat de peur" -

Le régime a instauré "un climat de peur et d'intimidation", ont résumé sept organisations de la société civile, dans une déclaration où elles dénoncent la "dérive dictatoriale du pouvoir".

Faux, répondent les partisans du régime. "La réalité ne reflète pas un pays dirigé par une dictature", affirme le chef de la mouvance présidentielle, Ali Youssouf Mliva. "Nous n'avons ni morts, ni personnes torturées mais des prisonniers de droit commun accusés de crimes économiques ou humains".

Le ministre de l'Intérieur accuse l'opposition de ne pas être dans son rôle. "Un opposant critique, il propose. Là, on a à faire à une association de malfaiteurs", affirme-t-il.

À l'initiative de l'Union africaine (UA), les deux camps ont entamé un dialogue mi-septembre pour tenter d'apaiser les tensions. Mais l'opposition a annoncé mercredi qu'elle suspendait sa participation en "l'absence de progrès".

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Pour l'heure, la médiation de l'UA semble n'être parvenue qu'à retarder l'annonce de la date de la présidentielle anticipée.

"En muselant voire en nettoyant" l'opposition et la société civile, le président Azali "tente de conserver le pouvoir par tous les moyens", estime Florent Geel, directeur Afrique à la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).

"C'est un putschiste converti. Quand on est un putschiste, on l'est à vie", ajoute-t-il. Il accuse le président de "raviver les rivalités" entre les trois îles qui composent les Comores.

Le sujet est hautement sensible dans l'archipel.

L'instauration au début des années 2000 d'une présidence tournante tous les cinq ans entre les trois îles avait contribué à stabiliser le pays. La remise en cause de ce système a ravivé des tensions entre les îles qui, s'inquiète Florent Geel, "risquent de déboucher sur un conflit".

Avec AFP