Les habitudes de l'ancien régime ont la vie dure, se plaignent des jeunes Tchadiens

Les personnes en deuil se rassemblent alors qu'elles assistent à une cérémonie funéraire de Synna Garandi, 18 ans, à N'djamena, le 1er mai 2021, après sa mort lors d'une manifestation le 27 avril dans la capitale tchadienne.

Casimir et ses camarades enterrent les corps des jeunes qui ont été tués lors des manifestations de la semaine dernière à N'Djamena. Après la formation dimanche d'un gouvernement de "réconciliation" au Tchad, composé de ministres du défunt président Idriss Déby Itno, la pilule est pour lui amère.

"La Constitution a été violée par le Conseil militaire de transition" (CMT), dit-il sur le parking de l'hôpital de l'amitié Tchad-Chine où un énième corps attend d'être emporté.

Le CMT est dirigé par Mahamat Idriss Déby, fils président-maréchal Déby, mort sur le front il y a deux semaines face à une rébellion. Mahamat Idriss Déby, entouré de 14 généraux, tous fidèles à son père, concentre presque tous les pouvoirs et s'est arrogé le titre de président de la République.

Dès la prise de pouvoir de la junte, l'opposition et la société civile ont dénoncé un "coup d’État institutionnel". Saleh Kebzabo, opposant historique du président Déby, avait critiqué la répression de la junte contre des manifestants la semaine dernière, qui a fait six morts selon les autorités, au moins une dizaine selon une ONG locale. "Les militaires ont annoncé la couleur: gouverner dans le sang", avait alors réagi sur Twitter Saleh Kebzabo.

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Dimanche, la junte militaire a nommé par décret le nouveau gouvernement de transition, avec l'entrée de deux membres du parti de M. Kebzabo. Le gouvernement est ultra-dominé par des représentants du Mouvement patriotique du Salut (MPS), le parti du maréchal Déby. Le premier ministre de la transition, Albert Pahimi Padacké, avait occupé le même poste sous Idriss Déby.

"Des jeunes sont tombés, et aujourd'hui le parti de Kebzabo est dans le gouvernement, cela n'est pas bon", regrette devant l'hôpital le jeune homme, étudiant en communication.

Opposant historique à Idriss Déby, Mahamat Ahmat Alhabo du Parti pour les libertés et le développement (PLD), a été nommé ministre de la Justice.

Casimir peste: "il est hors de question de se réconcilier sur cette base, ca n'est pas un gouvernement de réconciliation!"

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L'agonie d'une famille tchadienne dont l'un des fils a été tué lors d'une manif anti-junte

Frustration

Dans le quartier de Chagoua, dans l'est de la capitale tchadienne, un des épicentres de la contestation, Horalouba Bolongar sourit quant on évoque le changement: "Quand on dit un changement ici, c'est 'on change quelques têtes, on en remet d'autres, et on dit changement'"

Masque sur le nez et grosses lunettes de soleil aux yeux contre le soleil de plomb de la saison sèche, il prévient: "si on voit que ce sont les mêmes têtes et que c'est la continuation du système précédent, les gens vont être frustrés".

Les jeunes du Tchad pourront-ils ressortir une nouvelle fois contre les nouvelles autorités civilo-militaires? François Djekombe, président du petit parti politique Union sacré pour la république (USPR) et co-organisateur des manifestations, n'en démord pas: tant que le pouvoir ne sera pas civil, les Tchadiens seront dans la rue.

"Ce gouvernement est une sorte de remaniement ministériel avec près de 15 ministres du dernier gouvernement qui tiennent encore les postes clés", dit-il.

Au Tchad, toutes les marches de l'opposition sont interdites et réprimées par les forces de l'ordre.

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Mais "aujourd'hui, les Tchadiens se sentent concernés par la politique, beaucoup de sans-emploi et de diplômés subissent les conséquences de la politique", estime Evariste Ngarlem Tolde, enseignant en sciences politiques à l'Université de N'Djamena.

Il relève que les "gens ont l'impression que (le nouveau gouvernement de transition) est une continuité, ce sont les mêmes hommes dans le gouvernement, ce sont les mêmes du MPS".

Quelques rues plus loin, Abel Fesala tient un magasin de coiffure, le "New Morning Barbing Shop", en référence à la salle de concert de jazz parisienne où de nombreux artistes africains ont joué ces quarante dernières années.

A lui importe peu que le gouvernement ait des opposants ou non: il veut que les diplômés sans emploi trouvent un travail.

Assis sur la terrasse du "New Morning", il soupire: "on a l'âge de se marier, on a l'âge de travailler, mais on fait tous les petits boulots, il n'y a rien!"