Les journalistes sud-soudanais dans la tourmente des violences

Des rebelles sud-soudanais lèvent leurs armes dans un camp militaire dans la capitale Juba, Soudan du Sud, 7 avril 2016. (AP Photo / Jason Patinkin)

La radio qui l'employait a par deux fois été détruite et John Gatluak, journaliste sud-soudanais, connaissait mieux que quiconque les risques de la guerre. Même dissimulé dans un marécage pour se protéger, il n'avait jamais cessé de faire son travail.

Mais le 11 juillet, le journaliste discret et tenace a été abattu dans la capitale Juba, dernier exemple en date d'une série de meurtres et, plus largement, d'une répression sans merci contre les journalistes et défenseurs des droits de l'Homme osant critiquer les dirigeants du pays.

"Etre un journaliste au Soudan du Sud, c'est mettre sa vie en péril", avait déclaré John Gatluak l'année dernière, alors que les locaux de sa radio à Leer, une ville du nord ravagée par les combats, avaient une nouvelle fois été pillés. "Mais j'ai dédié ma vie à servir la communauté à travers la radio, comme un garde-fou qui les informe de ce que les politiciens font."

Le lendemain de son meurtre, sa femme a mis au monde leur troisième enfant.

Les combats du 8 au 11 juillet à Juba sont venus faire écho à ceux de décembre 2013, au déclenchement de la guerre civile, lorsque le président Salva Kiir avait accusé son ancien vice-président Riek Machar d'avoir fomenté un coup d'Etat contre lui.

Des centaines de personnes sont mortes dans les derniers affrontements qui ont commencé par une fusillade dans l'enceinte du palais présidentiel, la veille du 5e anniversaire de l'accession à l'indépendance du pays.

Tué parce que Nuer?

Comme beaucoup parmi les dizaines de milliers de victimes de la guerre civile, marquée par des affrontements sur des lignes ethniques, John Gatluak a vraisemblablement été tué en raison de son appartenance ethnique, selon plusieurs observateurs et confrères à Juba.

Les scarifications de son front désignait sans doute sa possible appartenance à l'ethnie Nuer, la même que Riek Machar.

Neuf journalistes ont été tués au Soudan du Sud depuis 2015, dont certains pris dans les combats, comme le caméraman de la présidence, Kamula Duro, tué au palais présidentiel le 8 juillet.

En 2015, un journaliste avait également été abattu dans ce qui ressemblait fort à une exécution ciblée, quelques jours après que le président Kiir eut publiquement menacé de "tuer" les journalistes "travaillant contre le pays".

Depuis le début de l'année, les journalistes et défenseurs des droits de l'Homme sont particulièrement visés et nombre d'entre eux vivent dans la clandestinité, a souligné lundi Reporters sans Frontières (RSF).

Pour certains journalistes à Juba, la coupe est pleine, mais les forces de sécurité sont à l'oeuvre. Elles empêchent au maximum des jeunes hommes de quitter le pays, contraignant ceux qui veulent s'exiler à emprunter des itinéraires moins surveillés mais plus risqués.

D'autres "sont disséminés dans le pays, apeurés", explique le CEPO, une organisation de la société civile.

Une figure arrêtée

D'autres encore ont été arrêtés, à l'image du très respecté Alfred Taban, du Juba Monitor, détenu au secret depuis le 16 juillet au lendemain de la publication d'un éditorial au vitriol dénonçant l'échec complet de Salva Kiir et Riek Machar.

Alfred Taban est une figure du journalisme sud-soudanais. Il a été un fervent défenseur de l'indépendance du Soudan du Sud alors qu'il travaillait avant 2011 à Khartoum, où il était régulièrement intimidé par les autorités soudanaises.

Son arrestation "est une nouvelle attaque inacceptable contre la liberté d'expression à un moment où le pays en a le plus besoin", a dénoncé Hassan Shire, de Defend Defenders, une organisation est-africaine de défense des droits de l'Homme.

Un autre journaliste, George Livio, qui travaillait dans la ville de Wau (nord-ouest) pour Miraya, une radio appuyée par l'ONU, est en détention depuis son arrestation en août 2014.

"Le système au Soudan du Sud réprime quiconque n'est pas en accord avec la +norme+", explique à l'AFP l'auteur du site internet satirique Saakam. "Si vous n'est pas d'accord avec ce qu'ils font, alors vous devez être un ennemi, ou même pire, un ennemi payé. Très peu ont osé ou osent faire du journalisme d'investigation de peur d'être abattus en tant qu'espion".

D'habitude caustique, le site Saakam publiait récemment un message on ne peut plus sérieux: "les menaces réelles" contre les journalistes et leurs familles "ne peuvent en aucun être sous-estimées".

Avec AFP