Les Kurdes syriens amers face à l'inaction occidentale

Des soldats syriens et turcs marchent dans le centre ville d'Afrine, Syrie, le 18 mars 2018

Fer de lance de la lutte contre le groupe Etat islamique en Syrie, les Kurdes syriens enragent d'avoir été "abandonnés" par leurs alliés occidentaux face aux Turcs à Afrine et dénoncent un "nettoyage ethnique" auquel le monde assiste "en spectateur".

"Le silence de la communauté internationale participe au plan macabre planifié par (le président turc Recep Tayyip) Erdogan. Silence vaut acceptation", déplore mardi un collectif de Kurdes originaires d'Afrine et vivant en Europe, dans le quotidien français "Le Monde".

"N'abandonnez pas vos alliés!", supplient-ils, alors que la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) a été chassée de son bastion d'Afrine dimanche par des militaires turcs et leurs supplétifs syriens.

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Qualifiés de "terroristes" par Ankara en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène une guérilla sur le sol turc, les YPG sont parallèlement les alliés précieux en Syrie de la coalition internationale anti-EI emmenée par Washington.

Or, malgré cet engagement de la première heure, "les mêmes combattants qui luttaient courageusement contre Daech (acronyme arabe du groupe EI, ndlr) sont aujourd'hui laissés à la merci de l'armée turque", accuse Khaled Issa, représentant officiel en France du Kurdistan syrien (Rojava), qui dénonce "un nettoyage ethnique" dont "les grandes puissances restent spectatrices".

La perte d'Afrine constitue un cuisant revers pour les Kurdes syriens, opprimés pendant des décennies sous le régime du clan Assad, mais qui ont acquis une autonomie de facto dans de vastes territoires à la faveur du conflit qui ravage la Syrie depuis 2011.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), quelque 250.000 civils ont fui les violences à Afrine et des dizaines d'autres ont été tués, ainsi qu'environ 1.500 combattants kurdes.

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Mais "en raison de l'appartenance à l'Otan de l'agresseur (ndr, la Turquie), cette violation multiple du droit international ne sera jamais sanctionnée", s'indigne la Communauté kurde d'Allemagne, où vivent environ un million de Kurdes.

"Afrine est l'expression la plus brutale de ce qu'on appelle la Realpolitik", explique à l'AFP Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

"Les Occidentaux, en particulier les Américains, étaient bien contents d'avoir les troupes kurdes syriennes au sol pour lutter contre l'EI. Mais Ankara, membre de l'Otan, sera toujours plus important qu'Afrine", commente ce spécialiste français de la Turquie.

- 'embarras' -

"Afrine met les Occidentaux dans l'embarras", renchérit Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie et Moyen Orient de l'Institut français des relations internationales (IFRI).

"S'engager aux côtés des Kurdes supposerait de soutenir la perspective politique kurde en Syrie, le Rojava en particulier, or les Occidentaux n'ont jamais tranché sur cette question. Ensuite, cela signifierait se réengager dans le conflit syrien alors que tout le monde veut s'en extraire. Le sentiment général, c'est qu'il n'y a que des coups à prendre", souligne à l'AFP la chercheuse.

Washington a mis en garde lundi Ankara, exprimant sa "grande préoccupation" après la prise d'Afrine.

Le président français Emmanuel Macron a également exprimé "sa grande préoccupation" et appelé Moscou, maître du jeu en Syrie, "à faire ses meilleurs efforts pour que cessent les combats et les pertes civiles".

Mais ces réactions ne sont pas à la mesure du drame qui se joue à la frontière turco-syrienne, prévient-on dans le camp kurde, qui accuse Ankara de s'être allié avec des jihadistes pour reprendre Afrine.

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"Les gouvernements européens doivent comprendre qu'il ne s'agit pas uniquement de la sécurité de notre peuple, car la chute d'Afrine signifie la création d'un nouveau foyer jihadiste menaçant la sécurité de Paris, de Berlin, de Londres", prévient le collectif de Kurdes originaires d'Afrin.

Le président Erdogan a de surcroît prévenu qu'il comptait étendre son offensive à d'autres zones du nord de la Syrie, dont la ville de Minbej, à une centaine de kilomètres à l'est d'Afrine.

Une telle initiative serait potentiellement explosive, car des centaines de militaires américains, qui soutiennent les YPG contre les jihadistes de l'EI, y sont déployés.

Toutefois, s'interroge un fin connaisseur du dossier, "Erdogan a-t-il les moyens militaires des ambitions qu'il affiche en Syrie? J'en doute".

"En dépit des déclarations très guerrières d'Erdogan, la Turquie ne pourra aller beaucoup plus loin", renchérit Didier Billion, selon qui la question kurde le long de la frontière turco-syrienne "nécessite de prendre le chemin des négociations".


Avec AFP